PIERRE-LOUIS GINGUÉNÉ (1748-1816), SAVANT HOMME DE LETTRES

À SAINT-PRIX



L’étude sur les historiens de la vallée de Montmorency1 nous a fait entrevoir, à l’occasion de la biographie d’Auguste Rey (1837-1915), l’existence à Saint-Prix2 d’un illustre prédécesseur, en la personne de Pierre-Louis Ginguéné, membre de l’Institut et savant homme de lettres, qui habita avant lui le Prieuré Blanc, pendant près de dix-huit ans.

En parcourant tous les textes écrits par Auguste Rey, on ne découvre son lieu de vie que dans son Excursion à Saint-Prix du 31 mars 1910, lorsqu’il dit : « Je ne fais qu’une brève allusion à la visite que mes [20] compagnons accordèrent à un petit musée d’iconographie locale installé en face de l’église3 ». Il était en effet propriétaire du Prieuré Blanc, précisément situé en face de l’église Saint-Germain, succédant ainsi à M. de Saint-André, à M. Morize, maire de Saint-Prix de 1821 à 1830, à Pierre-Louis Ginguéné4, qui l’avait acheté le 13 prairial an VI (1er juin 1799), au citoyen Maussalé, et encore auparavant, à un certain Aubisse, lequel avait acquis l’ancienne grange de la dîme, comme bien national, le 4 mai 17915.

Nous nous proposons de faire la connaissance de cet illustre Saint-prissien.


LA BIOGRAPHIE DE GINGUÉNÉ PARUE DANS « LA BIOGRAPHIE BRETONNE »

Nous livrons, dans un premier temps, l’intégralité de l’hommage scientifique, détaillé et très sensible, mais quelque peu contre-révolutionnaire, rendu par Prosper-Jean Levot dans la Biographie Bretonne, en 1852, à Pierre-Louis Ginguéné6 :

« Pierre-Louis Ginguéné naquit à Rennes le 25 avril 1748. Plusieurs écrivains ont répété à l’envi qu’il était issu d’une famille noble, mais pauvre, et l’un d’eux, M. Villenave (Biographie universelle, t. LXV, p. 430), a cité comme preuve à l’appui de cette assertion un extrait de la réformation de 1668. Mais cette prétendue noblesse a été vivement contestée devant les tribunaux, et M. Baron du Taya, père de notre savant et regretté collaborateur, n’y croyait pas. Très lié avec la famille de notre célèbre littérateur et avec celle du même nom, dont les ancêtres comparurent à la réformation de 1668, il a pu, mieux que tout autre, reconnaître de quel côté étaient les droits à l’illustration généalogique.

À défaut de fortune et de noblesse de race, le père de Ginguéné, justement considéré pour ses qualités personnelles et ses connaissances, procura à son fils d’autres avantages, ceux d’une instruction complète et variée. Placé au collège de Rennes, Pierre-Louis y commença ses études sous les Jésuites, et les termina, après leur expulsion, sous les prêtres séculiers qui leur succédèrent. Lorsqu’il quitta les bancs du collège, les langues d’Homère et de Virgile lui étaient familières. C’est alors que son père, très versé dans celles de Milton et du Dante, les lui apprit lui-même, en même temps qu’il l’initia à l’étude des beaux-arts, pour lesquels son fils et lui étaient heureusement organisés. Poésie, musique, tels furent donc les délassements de l’enfance de Ginguéné. Plus tard, elles fournirent plus d’un fleuron à sa couronne littéraire.

Ginguéné avait moins de vingt ans, et déjà il avait composé et répandu dans sa ville natale quelques-unes de ces poésies fugitives, suffisantes en province pour procurer cette réputation de poète qui, trop souvent, sert de prétexte aux jeunes gens pour aller à Paris. La Confession de Zulmé n’avait pas encore paru.

Venu dans la capitale, en 1772, Ginguéné y fut d’abord employé comme précepteur, et publia aussi quelques poésies légères dans l’Almanach des Muses et dans d’autres recueils. Enhardi par l’accueil qu’elles reçurent, il alla communiquer au froid traducteur de l’Iliade (de Rochefort), sa Confession de Zulmé, qu’il tenait en portefeuille depuis quatre ans. Rochefort en prit une copie, en laissa prendre d’autres, et la lut dans plusieurs maisons.

« Ce nom de Zulmé et ce titre de Confession, dit Garat, étaient tout à fait dans le genre des vers à la mode. Ce qui n’en était pas du tout, c’étaient le goût et les vers. On pouvait les croire de Tibulle quand il ne gémit pas, ou de Properce quand il n’est pas en colère contre Cynthie. La différence était sensible entre le ton du jour et le ton de cette bagatelle heureuse, et tout le monde le sentit,

Car la nature est vraie, et d’abord on la sent ».

Comme cette pièce, toujours applaudie, circulait sans nom d’auteur, ce fut à qui se l’approprierait. Le marquis de Pezay à Paris, le poète Barde à Lyon, le duc de Nivernais, M. de la Fare, etc. etc., la firent ou la laissèrent paraître sous leur nom, et ceux qui s’en arrogèrent la paternité furent bientôt si nombreux qu’on put, suivant la pittoresque expression de M. Villenave, l’appeler l’enfant de trente-six pères. Choqué des fautes nombreuses que contenait la copie imprimée dans la Gazette des Deux-Ponts, sous le nom de M. de la Fare, Ginguéné ne crut plus pouvoir se taire, et il publia lui-même, dans l’Almanach des Muses, la pièce en litige qui, toute légère qu’elle est, peut être considérée comme son chef-d’œuvre poétique. Les autres du plagiat tentèrent effrontément de le faire peser sur Ginguéné, et cette affaire donna lieu à une discussion assez vive dans les journaux. Voici comment lui-même en a rendu compte beaucoup plus tard :

« On a vu des plagiaires s’attribuer l’œuvre d’autrui, mais non pas, que je sache, attaquer le véritable auteur. C’est ce que fit pourtant M. Mérard de Saint-Just. Quelques amis des vers s’en souviennent peut être. Les autres pourront trouver dans le Journal de Paris, de janvier 1779, les pièces de ce procès bizarre7 ».

Vers cette époque commença la guerre entre les gluckistes et les piccinnistes8. Piccinni9, arrivé à Paris dans les derniers jours de 1776, fut promptement en rapport avec Ginguéné. C’était une vraie fortune pour l’illustre maëstro que de trouver un homme qui parlât sa langue, alors que lui ne savait pas un mot de français, et qui, habile musicien, eût ainsi tous les moyens de comprendre et de traduire ses pensées. Choisi pour maître de chant par la reine Marie-Antoinette, Piccinni fut admis à la cour, devant laquelle il fit représenter, à Fontainebleau, dans le courant de 1777, Pomponin, ou le Tuteur mystifié, opéra-bouffon en deux actes, tiré de l’intermède italien Lo Sposo burlato, Paris, Ballard, 1777, in-8°. Piccinni était l’auteur de la musique, et Ginguéné avait composé ou traduit le libretto. La faveur dont Piccinni ne tarda pas à jouir anima contre lui les partisans de Gluck10, jusque là l’idole des dilettanti, et bientôt tout Paris fut divisé en deux camps, également ardents à soutenir le représentant de la musique italienne et celui de la musique allemande, l’un du côté du roi, l’autre du côté de la reine, comme on disait alors, par allusion aux places que les adversaires occupaient au théâtre.

Ginguéné se précipita plutôt qu’il n’entra dans la lice, et pendant les trois années (1780-1783) que dura cette guerre musicale, il fut le principal champion de Piccinni. Marmontel, La Harpe, le marquis de Chastellux, étaient bien, il est vrai, enrôlés sous la même bannière que lui. Mais, étrangers à l’art qu’ils défendaient, ils furent éclipsés par Ginguéné qui, dans une série d’articles de journaux, montra combien il possédait à fond l’histoire et la théorie de la musique. Ces articles lus, ou, pour mieux dire, dévorés de tout le monde, parurent sous le nom (pseudonyme) de Méphile, et le plus important d’entre eux sous le titre (pseudonyme) de Mélophile à l’homme de lettres chargé de la rédaction des articles de l’Opéra dans le Mercure de France, Paris, 1783, in-8° de 27 pages. Défenseur enthousiaste, non seulement de Piccinni, mais encore de la musique italienne, Ginguéné se prit corps à corps avec l’abbé Arnaud et l’anonyme de Vaugirard (Suard), les deux plus redoutables tenants de Gluck, et, malgré leurs connaissances musicales, leur adversaire resta maître du champ de bataille.

Le rôle actif et animé de Ginguéné dans cette polémique le mit en évidence. Les articles qu’il publia sur d’autres matières dans le Mercure de France et le Journal de Paris, les pièces de vers qu’il inséra dans l’Almanach des Muses et d’autres recueils, ajoutèrent à sa réputation, et, malgré les critiques amères qu’il eut à essuyer de la part de La Harpe et de Rivarol, il prit sa place parmi les littérateurs du temps.

Un peu avant la lutte dont nous venons de parler, Ginguéné avait obtenu (1778) un emploi au ministère des finances, qu’on appelait alors le contrôle général. Dans sa joie de voir ainsi son existence assurée, il écrivit une pièce de vers intitulée : Lettre à mon ami lors de mon entrée au contrôle général. Ce titre prêtait à une équivoque involontaire, mais dont Rivarol et Champcenetz ne manquèrent pas de s’emparer pour le railler sur son élévation au contrôle général. Plus tard, il ôta lui-même tout prétexte à la malignité, en réimprimant sa pièce sous ce titre : Lettre à mon ami lors de mon entrée dans les bureaux du contrôle général.

Ginguéné partageait son temps entre les devoirs de sa place et la poésie, lorsque l’Académie française ouvrit, en 1785, un concours dont le prix extraordinaire, proposé par le comte d’Artois, avait pour objet la mort du jeune Léopold, duc de Brunswick, qui, victime de son héroïque pitié, s’était noyé dans l’Oder en voulant sauver des malheureux menacés du même danger. Ginguéné prit part, à deux reprises, à ce concours, qui fit éclore tant de mauvais vers. Son poème de Léopold, 1787, in-8°, qu’il avait refait entièrement après avoir échoué la première fois, n’obtint qu’une mention, et le prix fut décerné à un M. Terrasse de Mareilles, dont le principal titre à cette faveur était sa qualité de fils d’une des femmes de chambre de la reine. Quoi qu’il en soit, et malgré l’honneur que lui ont fait les Italiens de le traduire, le poème de Ginguéné, un peu déclamatoire, et empreint des doctrines alors dominantes, n’était digne du prix que comparativement. Lui-même ne s’en est pas dissimulé des imperfections lorsqu’il l’a réimprimé, en 1814, dans ses Fables inédites. Il échoua encore au concours de 1788, auquel il présenta son Éloge de Louis XII, père du peuple, Paris, Debray, 1788, in-8°. Ses concurrents étaient Barère, Florian, Langloys et Noël. Ce dernier fut seul couronné.

Froissé de cette double défaite, il renonça aux joutes académiques pour s’occuper d’un travail qui, conjointement avec sa collaboration au Mercure de France, absorba presque entièrement ses loisirs. Nous voulons parler de la section Musique de l’Encyclopédie méthodique, Paris, Panckoucke et Mme Vve Agasse, 1791-1818, 2 vol., in-4°. Framery11 qui comme Ginguéné, connaissait parfaitement la théorie et les différents systèmes de la musique, rédigea, de concert avec lui, la première partie du tome 1er. Ginguéné est l’auteur de la deuxième partie, et M. de Momigny12 a concouru au deuxième volume. Il ne se borna pas à tracer l’histoire de l’art chez les différents peuples. Il y joignit celle des divers objets qui se rapportent accessoirement à la science musicale. Cette partie de l’Encyclopédie prouve quel heureux parti il sut tirer des diverses branches de la littérature italienne pour éclairer son sujet. Considérant la musique comme le plus sûr moyen d’apprécier l’organisation des individus, leur sensibilité, la force et l’étendue de leur esprit, il compara la musique italienne à celle des autres nations, et de ce parallèle philosophique naquit pour lui la conviction que la musique et la langue italienne possèdent l’une et l’autre une richesse, une harmonie et une flexibilité dont l’influence sur les facultés de l’esprit ne saurait être méconnue. Ce travail, en quelque sorte inaperçu dans la vie de Ginguéné, a dû, dans notre opinion, le prédisposer à ceux qu’il a accomplis plus tard sur la littérature italienne.

Pendant ce temps la Révolution avait marché à grands pas. Ginguéné, qui l’avait appelé de ses vœux, en approuva tous les principes et les premières conséquences. Mais avec de la probité et un cœur bon et généreux, il devait en repousser les injustices et les crimes. Il devait en être l’une des victimes. Il accueillit donc avec enthousiasme la Révolution, et après avoir célébré l’ouverture des États-Généraux dans une ode médiocre à laquelle on fit peu attention, il coopéra, dès 1790, au Moniteur, dont il resta l’un des rédacteurs jusqu’à la fin de sa vie. Non content d’aider, par des articles fugitifs de journaux, à la propagation des idées nouvelles, il s’attacha encore à en assurer le triomphe par la publication de quelques ouvrages. Tel fut le but des Tableaux de la Révolution française, ou Collection de gravures représentant les principaux évènements qui ont lieu en France, avec les discours (par Fauchet, Champfort et Ginguéné), Paris, imprimerie de Didot, chez Me Lesclapart (1790-1791), 25 livraisons in-f°. On a prétendu que des vingt-cinq discours renfermés dans ce recueil, quatre seraient de l’abbé Fauchet, neuf de Champfort et douze de Ginguéné. Les notes de ce dernier autorisent à croire que Fauchet serait étranger à la rédaction de ce recueil. Les treize premières livraisons, y est-il dit, firent rédigées par Champfort, et les autres par Ginguéné.

Ce fut dans le cours de la même année (1791), que l’Assemblée constituante décerna, au nom de la nation, une statue à l’auteur d’Émile et du Contrat social. Les uns applaudirent à cette apothéose, les autres crièrent au scandale. Ginguéné, admirateur exalté de J.-J. Rousseau, essaya de réduire les derniers au silence en publiant, sous le titre de Lettres sur les Confessions de J.J.Rousseau, (Paris, Barrois l’aîné, 1791, in-8° de 140 p.), une apologie sans restriction de l’homme dont on consacrait les principes et dont on avait entrepris de réaliser les chimères. Cette apologie, écrite avec esprit, est juste à quelques égards. Mais elle cesse de l’être sur beaucoup de points, quand l’auteur se laisse aller à son engouement irréfléchi pour son héros, notamment quand il s’attache à prouver l’existence de cette vaste conspiration ourdie dans l’Europe entière, pendant vingt années, et dont le but aurait été d’enlever à Rousseau, avec le repos de sa vie, la gloire due à ses ouvrages. Rien ne prouve que Grimm, Diderot, d’Alembert, eussent formé ce projet, d’ailleurs inexcusable, et l’on doit plutôt en attribuer l’invention à cet esprit de méfiance que Jean-Jacques avait apporté en naissant, et que les traverses d’une vie agitée n’avaient pas pu contribuer à développer. Ginguéné, en se faisant le panégyriste quand même du philosophe genevois, consulta donc son cœur plutôt que sa raison, et son admiration pour le génie, sa compassion pour le malheur, purent seules faire excuser cette levée de boucliers. La Harpe inséra dans le Mercure une réfutation sévère, mais juste, des Lettres sur les Confessions. Les cinq articles dont elle se composait, écrits de verve et avec une vigueur de logique qui les placent au rang des meilleurs morceaux de ce célèbre critique, ont été reproduits par M. Barbier, dans le Nouveau Supplément au Cours de littérature de M. de La Harpe, Paris, Delaunay, 1818, in-8°, où ils figurent, p. 125-255, sous ce titre : Extraits des Lettres sur les Confessions de J.J.Rousseau, par feu M. Ginguéné, insérés par M. de La Harpe dans le dernier trimestre du Mercure de France de l’année 1792. Ginguéné prit texte, dans le Moniteur du 8 décembre 1792, de l’annonce d’une traduction anglaise des Lettres sur les Confessions, pour adresser à La Harpe une réponse qui ne détruisit aucun de ses solides arguments.

À cet ouvrage, plus littéraire que politique, succéda celui qui a pour titre : De l’autorité de Rabelais dans la Révolution présente et dans la constitution civile du clergé, ou Institutions royales, politiques et ecclésiastiques, tirées de Gargantua et de Pantagruel, Paris, Gattey, 1791, in-8°. Ici, Ginguéné expose ses théories politiques qui, parfois, se produisent sous la forme d’utopies impraticables ou de principes susceptibles de conduire, bien certainement contre son gré, à des conséquences fâcheuses.

Ginguéné, nous l’avons dit, travaillait au Moniteur depuis 1790. Là, il s’adressait aux intelligences élevées. Mais bientôt il lui fallut une tribune plus populaire. Il la trouva dans la Feuille Villageoise, dont Cérutti et Rabaut-Saint-Étienne avaient commencé la publication le 30 septembre 1790. À la mort de Cérutti, arrivée le 3 février 1792, Ginguéné et Grouvelle continuèrent la rédaction de ce journal jusqu’en 1793, époque où le premier, d’après les notes qu’il a laissées, en aurait été exclusivement chargé jusqu’au 15 thermidor an III (2 août 1795), qu’elle cessa de paraître. Nous n’examinerons pas si, dans les dix volumes in-8° dont se compose ce recueil, les auteurs atteignirent le but qu’ils s’étaient proposé de répandre l’instruction parmi le peuple des campagnes, et de l’éclairer sur ses droits comme sur ses devoirs. Ce que nous voulons seulement constater, c’est que, par la modération de son langage et de ses principes, la Feuille Villageoise contrasta d’une manière tranchée avec les diverses publications périodiques de ce temps désastreux. Véritable Encyclopédie à l’usage des classes laborieuses, surtout dans sa première série, c’est-à-dire jusqu’en février 1792, elle referme toutes sortes d’instructions, d’explications, d’exemples, de questions et de réponses sur les sujets les plus utiles à posséder. À côté de la géographie complète de la France, considérée dans sa nouvelle division en départements, on trouve l’histoire des villes, celle des peuples, la comparaison de l’ancien et du nouveau régime, des articles sur les tribunaux, le jury, les devoirs des curés, des officiers municipaux, etc. ; en un mot, tout ce que les auteurs crurent propre à instruire le peuple.

À partir du moment où Ginguéné en devint le seul rédacteur, cette feuille, sans dévier formellement de la ligne tracée par son principal fondateur, fut néanmoins obligée d’agrandir son cadre, et de s’occuper de questions qu’elle avait négligées dans des temps moins critiques. La guerre que la France avait à repousser détermina Ginguéné à joindre au développement des théories de la liberté l’exposé des moyens à employer pour la défendre et le récit des évènements politiques. Il continua pourtant de publier, en dehors de ce dernier cadre, un grand nombre d’articles, dont les principaux sont indiqués par M. Léonard Gallois, p. 185 de son Histoire des Journaux et des Journalistes de la Révolution française (1789-1796), Paris, 1846, 2 vol., in-8° grand Jésus.

Indigné du dévergondage et des mutilations que subissait la langue française, menacée d’être transformée en un argot digne des temps barbares, il résolut d’opposer une digue à ces honteux envahissements. Il s’entendit dans ce but avec d’autres écrivains, jaloux comme lui de maintenir, on pourrait presque dire de ressusciter la pureté des doctrines et des traditions littéraires, et de ce concert naquit la Décade philosophique, littéraire et politique. Commencé le 10 floréal an II (29 avril 1794), et continué depuis le 10 vendémiaire an XIII sous le titre de Revue philosophique, littéraire et politique, ce recueil se termina le 21 septembre 1807. Ginguéné peut être considéré comme ayant le plus contribué au succès et à la durée de cette publication par la multitude d’articles, généralement signés de la lettre G, qu’il y a insérés, et qui l’ont mis au rang des critiques les plus judicieux de l’époque. Cette collaboration active et féconde se continua lorsque la Revue philosophique se joignit au Mercure, en septembre 1807.

Apôtre de la liberté, mais adversaire de la démagogie, Ginguéné ne pouvait échapper à la proscription qui frappait tous ceux qu’animaient l’amour de la justice, la haine des désordres et celle des violences. Incarcéré pendant quelque temps, il ne dut son salut qu’au 9 thermidor. Rendu à la liberté, Ginguéné, dont les convictions n’avaient pas été ébranlées par ces propres dangers, et qui regardait comme de simples accidents les spoliations et les assassinats qui avaient marqué le passage de la Terreur. Ginguéné, disons-nous, reprit avec ardeur ses travaux interrompus. La réaction thermidorienne eut pour résultat de faire nommer aux emplois publics ceux qui avaient combattu Robespierre et ses adhérents. Dès le 12 septembre 1794, un décret de la Convention nomma Garat commissaire de l’instruction publique, et lui donna Ginguéné et Clément pour adjoints. Avec les meilleures intentions et des connaissances positives, Ginguéné était alors sans contredit un des hommes les plus propres à remplir de telles fonctions. Mais c’était une tâche bien difficile que de réorganiser les écoles au milieu du chaos ouvert par la Révolution. Il fit tout ce qui était possible dans de pareilles circonstances, et avec les moyens qui existaient. Mais ce ne pouvait être que dans le système et les principes de l’époque. Et l’on sait ce qui est arrivé de cette éducation toute matérielle, où la religion et la morale n’étaient pas même indiquées. Il eut à réformer beaucoup d’abus, à évincer des personnes dont les idées faisaient obstacle à la réalisation de ses plans. Cette rigueur nécessaire lui suscita des ennemis dont la colère s’exhala dans des récriminations violentes et injustes. De ce nombre fut Chalmel. Mécontent d’avoir été révoqué de ses fonctions de secrétaire-général de la commission de l’instruction publique, il publia contre elle, le 3 ventôse an III (21 février 1795), un libelle de seize pages, intitulé : Garat et Ginguéné, membres de la commission, etc., intrigants et dilapidateurs. La réponse de Ginguéné ne se fit pas attendre. Dès le lendemain, elle parut sous ce titre : Ginguéné au comité d’instruction publique, avec cette épigraphe : Quid domini facient, audent cum talia fures ?13 Nommé le 19 août 1795, seul commissaire à la place de Garat, Ginguéné signala son administration par l’élaboration de la loi sur l’instruction publique, décrétée le 25 octobre suivant, dans l’avant-dernière séance de la Convention, loi qui régla l’organisation de l’Institut en trois classes. Par l’influence qu’il exerça sur le choix des quarante-huit premiers membres nommés par le Directoire, le 25 novembre de la même année, il contribua à réparer les maux qu’avait causés le vandalisme révolutionnaire en supprimant les anciennes Académies. Ginguéné entra dans la classe des sciences morales et politiques, et, bien que sa place y fût légitimement marquée par ses divers travaux antérieurs, il est à croire, d’après les exclusions qui frappèrent d’autres écrivains distingués, que cet acte de justice fut en grande partie la récompense de son dévouement au Directoire14.

Ginguéné, par crainte sans doute du retour de l’anarchie, s’était attaché au nouveau pouvoir. Son dévouement et les craintes qui le suggérèrent peuvent seules expliquer la publication qu’il fit, dans la Décade philosophique, d’une série d’articles réunis ensuite sous ce titre : De M. de Necker et de son livre intitulé : « De la Révolution de France », Paris, 1797, in-8°. Necker15, abjurant une partie de ses illusions, avait condamné la plupart des actes de la Révolution et prédit la chute prochaine de la pentarchie directoriale. Ginguéné ne se borna pas à blâmer l’abjuration de l’ancien ministre de Louis XVI, il le censura amèrement pour avoir rendu justice aux vertus de ce malheureux prince, et il ajouta à cette censure une profession de foi, aussi inutile que déplacée, dont il s’est plus d’une fois amèrement repenti. Il déclara positivement qu’il ne croyait point à l’innocence, aux vertus d’un roi conspirateur, cruellement et impolitiquement, mais non injustement puni ; qu’il était indigné de l’espèce de persécution qu’essuyaient à cause de leur vote, les hommes purs et probes, auxquels il enviait cette espèce de réprobation. Cette déplorable aberration se comprend d’autant moins qu’elle contrastait de la manière la plus tranchée avec les principes et les sentiments qu’ont remarqués en lui, aux diverses époques de sa vie, les personnes ayant vécu dans son intimité.

Quoi qu’il en soit, elle fit croire aux directeurs, tous régicides, qu’ils étaient assurés de trouver dans Ginguéné un auxiliaire qui ne leur ferait jamais défaut. Et, lorsqu’au mois de septembre 1797, il fut procédé au remplacement de Carnot16, ils ne mirent aucun obstacle à la candidature de Ginguéné, qui obtint cent-cinquante-cinq voix. François de Neufchâteau ayant été élu, on voulut consoler le chef de l’instruction publique de cet échec, en le nommant, au mois de décembre suivant, ministre plénipotentiaire auprès des Villes hanséatiques. Cette mission ne lui convenant pas, il parvint à la faire échanger, peu de jours après, contre celle de ministre auprès du roi de Sardaigne. On a dit, et cette assertion est très-plausible, que sa préférence avait été dictée par le désir de visiter cette Italie, objet de son admiration, et de se plonger dans les délices d’une littérature qui fut toute sa vie son idole. Nous le croyons d’autant mieux que Ginguéné devait avoir la conscience des embarras inévitables de sa mission, dont le but, plus ou moins caché, était la spoliation du roi de Sardaigne et la fomentation des troubles qui devaient amener sa chute. Arrivé à Turin, le 24 mars 1798, après avoir fait à Lyon et à Genève, par simple curiosité, un séjour assez prolongé, Ginguéné présenta ses lettres de créance le 31 du même mois, et prononça, à cette occasion, un discours que le Directoire fit insérer dans le Moniteur du 13 avril 1798. Le discours de Ginguéné, bien que modéré, ne dut pas plaire de tous points à la cour de Turin. Mais, ce qui déplut peut-être davantage, ce fut l’insistance de sa chère Nancy (c’est ainsi qu’il appelait sa femme) à s’écarter de l’étiquette de la cour. En attendant l’aplanissement des difficultés soulevées par ces exigences peu diplomatiques, Ginguéné s’occupa de sa mission. Naturellement peu révolutionnaire, il eut à vaincre bien des répugnances pour se faire le séide du Directoire. Il commença par obliger tous les Français autorisés à rester en Sardaigne, comme voyageurs ou autrement, à justifier de leurs passeports, et ceux qui résidaient avant la Révolution dans les États sardes, même ceux au service du roi, à prêter serment à la République et à arborer la cocarde tricolore, sous peine d’être considérés comme émigrés et renvoyés comme tels17. De graves différends ne tardèrent pas à s’élever entre lui et la cour de Turin, au sujet de l’amnistie générale demandée par les patriotes piémontais, que le Directoire avait, sous main, excités à l’insurrection. La cour avait continué, malgré les représentations de Ginguéné, à faire fusiller un grand nombre de prisonniers. L’envoyé français suspendit un moment ses relations. Mais, appuyé par le général Brune18, qui commandait des forces considérables dans ces contrées, il les reprit le 1er juin 1798, et parvint, le 26 du même mois, à conclure un traité par lequel une amnistie générale et absolue était accordée aux insurgés, et la citadelle de Turin remise aux Français, sous la seule condition que la France prêterait son appui au roi pour empêcher le retour des troubles. Ginguéné n’avait pas, à beaucoup près, montré dans cette guerre de fourberie et de violence, antipathique à son caractère loyal, toute l’ardeur qu’on attendait de lui, et il est à croire que le traité n’eût pas été conclu, si Brune n’avait jeté son épée dans la balance des négociations.

Pendant les pourparlers qui précédèrent le traité, Ginguéné, stimulé par sa Nancy, à laquelle il ne sut jamais résister, était parvenu à obtenir sa présentation dans le costume qu’elle voulait. Le Directoire, il est vrai, avait appuyé les projets de la légation française, en insérant dans le Moniteur du 13 avril 1798 une note où se trouve le passage suivant :

« La nouveauté qu’il (Ginguéné) a introduite d’aller partout, excepté à la cour, en habit coupé à la française, c’est-à-dire en frac19, dans un pays où tout le monde est rigoureusement tenu au chapeau sous le bras et à l’épée, paraît une hardiesse politique. On assure que la citoyenne Ginguéné sera présentée à la reine en robe française, et non en robe de cour à paniers, à queue et à grandes manchettes à la piémontaise ; que telles sont et la ferme résolution de l’ambassadeur et les intentions positives du Directoire. Les formalistes de Turin ne conçoivent rien de tout cela ; mais les républicains français concevraient encore moins que les choses fussent autrement ».

Après une telle note, insérée en tête de son discours du 31 mars, Ginguéné devait, certes, se croire assuré du concours de son Gouvernement. Néanmoins, quand Mme Ginguéné, enivrée d’avoir pu paraître à la Cour en pet-en-l’air, eut fait expédier un courrier porteur de la nouvelle de son triomphe, le Directoire, mieux avisé, ne voulut pas compliquer plus longtemps de taquineries féminines les difficultés de la situation, et le ministre Talleyrand, dont les dispositions personnelles s’accommodaient fort peu de ce sans-façon républicain, joua à Ginguéné le mauvais tour de glisser la note suivante dans le Moniteur du 26 juin, jour même de la signature du traité de Turin :

« Un ambassadeur de la République a écrit, dit-on, au ministre des relations extérieures qu’il venait de remporter une victoire signalée sur l’étiquette d’une vieille monarchie, en y faisant recevoir l’ambassadeur en habits bourgeois. Le ministre lui a répondu que la République n’envoyait que des ambassadeurs, parce qu’il n’y avait chez elle que des directeurs, et qu’on n’y connaissait de directrices que celles qui se trouvaient à la tête de quelques spectacles ».

Cette sanglante mercuriale ne pouvait laisser de doute sur le remplacement de l’envoyé français. Il fut en effet rappelé, et son successeur, l’ex-constituant Eymar, bien plus inflexible que lui, parvint à faire réussir dans leur entier les projets du Directoire, en forçant le roi de Sardaigne à abandonner sa capitale.

Ginguéné revint à Paris, n’emportant avec lui que des déceptions de toute espèce. La plus sensible peut-être fut de n’avoir pu réaliser son projet de visiter toute l’Italie. Une excursion qu’il avait faite jusqu’à Milan seulement avait suffi pour lui donner un aperçu des richesses littéraires qu’il aurait pu exploiter, si sa mission ce fut prolongée. Cette perspective lui était enlevée. Rendu à la vie privée, il revit avec bonheur sa modeste maison de Saint-Prix20 dans la vallée de Montmorency, et reprit ses travaux littéraires, jusqu’à ce que le 18 brumaire vînt le rappeler sur la scène politique. Nommé membre du Tribunat21, il crut un moment que la liberté n’aurait pas de plus ferme défenseur que celui qui venait d’étouffer l’anarchie. Ses illusions se dissipèrent presque aussitôt. Peu de jours après la promulgation de la Constitution de l’an VIII, le Tribunat, seul pouvoir législatif où l’élément populaire eût un semblant de représentation libre, fut appelé à discuter un projet de loi qui lui enlevait toute spontanéité d’action. Convaincu que le chef de l’État voulait absorber en lui seul toute l’autorité, Ginguéné, inébranlable dans ses convictions, improvisa un discours dans lequel il combattit le projet et en demanda le rejet. Dans d’autres circonstances, il s’exprima avec non moins de franchise et de courage. Mais quand il eut combattu, le 31 janvier 1801, la création des tribunaux criminels spéciaux, la colère du maître, jusque là contenue, fit explosion, et s’exhala même dans une diatribe qu’il écrivit, dit-on, de sa propre main, et qui fut insérée dans le Journal de Paris. Ginguéné (Bonaparte affectait de l’appeler ainsi) y était rangé parmi les idéologues, et cette qualification, on le sait, était un terme de mépris que le premier consul, comme l’empereur, se plaisait à accoler au nom de quiconque s’avisait d’exprimer des idées autres que les siennes. Jamais il ne s’était senti de dispositions favorables pour Ginguéné, dont il n’attendait ni souplesse ni complaisance. Aussi le punit-il de son opposition en le comprenant dans la première élimination du Tribunat.

Dégagé désormais du servage de la politique, Ginguéné put reprendre, avec une entière liberté d’esprit, ses travaux littéraires. Il coopéra avec plus d’ardeur que jamais à la Décade philosophique, seul refuge de l’opposition républicaine. Ce recueil offusquait Bonaparte, impatient de toute contradiction. Ginguéné y fronda plus d’une fois son gouvernement, et il se suscita en même temps des ennemis d’un autre genre par la sévère indépendance, par l’injustice même, il faut le dire, de quelques-unes de ses critiques, de celles notamment qu’il dirigea contre les ouvrages de Delille et de Châteaubriand. On remarqua particulièrement, et avec peine, à cette époque, les trois articles qu’il publia dans la Décade philosophique, et qui furent ensuite réunis sous ce titre : Coup-d’œil rapide sur le Génie du Christianisme, ou quelques pages sur cinq volumes in-octavo publiés sous ce titre par Fr. Aug. Châteaubriand, Paris, Gérard, an X (1802), in-8° de 92 p. Peu s’en fallut que ces critiques ne servissent de prétexte à Bonaparte pour exclure Ginguéné de l’Institut, lors de la refonte de ce corps en 1803. Son nom fut d’abord rayé de la liste, et s’il fut rétabli, ce fut, à n’en pas douter, parce qu’on redouta qu’une si criante injustice ne fût regardée comme une satisfaction donnée aux rancunes consulaire, et qu’elle n’excitât l’indignation publique.

Six ans plus tard, l’Institut eut à s’applaudir d’avoir pu conserver Ginguéné. À cette époque, le Gouvernement ordonna la reprise de l’Histoire littéraire de la France, interrompue depuis quarante ans, et dont les Bénédictins avaient publié les douze premiers volumes in-4°, lesquels ne terminaient pas le XIIe siècle. Nul n’était certainement plus propre que Ginguéné à continuer l’œuvre des Bénédictins, soit par l’étendue de son érudition, soit par son esprit de méthode et de travail consciencieux. Aussi, s’empressa-t-on d’accueillir la demande qu’il fit d’y prendre part. Nommé membre de la commission à laquelle la classe d’histoire et de littérature ancienne de l’Institut confia cette tâche honorable, mais difficile, il se réserva la partie de l’ouvrage traitant des poètes français et des troubadours provençaux des XIIe et XIIIe siècles. Préparé à ce travail par les recherches qu’il lui avait fallu faire sur la littérature romane et sur la littérature italienne, dont il s’occupait depuis si longtemps, il put bientôt fournir à la commission un grand nombre d’articles neufs et piquants. Il composa la plus grande partie des t. XIII, XIV, XV. Et avant sa mort, il avait remis quelques articles et des matériaux précieux destinés au t. XVI, commençant les annales littéraires du XIIIe siècle.

Depuis son éloignement des affaires publiques, Ginguéné s’était, malgré tous les travaux que nous venons d’indiquer, occupé avec ardeur de son Histoire de la littérature italienne, entreprise depuis bien des années. Avant d’en commencer l’impression, il voulut disposer le public à l’accueillir favorablement, et, par les lectures qu’il fit à l’Athénée22, de 1802 à 1806, d’un grand nombre de fragments de cet ouvrage, il réussit à dissiper une partie des injustes préventions auxquelles la littérature italienne était encore en butte. Elles disparurent tout-à-fait, dès qu’il eut publié les trois premiers volumes de son Histoire littéraire d’Italie.

Cet ouvrage forme quatorze volumes in-8°, publiés à Paris par MM. Michaud frères, de 1811 à 1835. Il en a été fait une seconde édition, revue et corrigée sur les manuscrits de l’auteur, et augmentée d’une notice par M. Daunou, avec portrait, Paris, Michaud, 1824 et années suivantes, 14 vol., in-8°. En ne faisant qu’une seule et même édition, sauf le changement de titres, des deux que nous venons de citer, M. Quérard a commis, dans sa France littéraire, une erreur qu’il aurait évitée en comparant le caractère et le papier, qui sont différents. Il s’est aussi trompé en attribuant à M. Boissonnade, qui n’y a pas eu la moindre part, la publication des derniers volumes de l’Histoire littéraire d’Italie.

Les trois premiers volumes, qui parurent en 1811, renferment l’histoire de la littérature italienne

jusqu’à la fin du XVe siècle. C’est là qu’on trouve une analyse exacte et approfondie du poème sublime et bizarre du Dante23, une appréciation raisonnée et délicate des beautés de Pétrarque24, de Boccace25. Au tableau fidèle de l’état des lettres dans la Péninsule, après l’invasion des Barbares, succède celui du développement que prit de nouveau l’esprit humain, lorsqu’il sortit du chaos du Moyen Âge.

La seconde partie de l’ouvrage devait remplir cinq volumes consacrés à l’histoire d’un seul siècle, mais de ce XVIe siècle où l’Italie, par ses épopées héroïques et romanesques, atteignit au plus haut degré de splendeur dans les lettres. De ces cinq volumes, trois seulement parurent du vivant de Ginguéné (1812-1813). Quant aux t. VII, VIII, et IX, publiés en 1819, le premier lui appartient en entier, moins quelques pages ; mais il ne peut guère revendiquer que la moitié des deux autres, achevés par Salfi et revus par Daunou. Les cinq derniers volumes (1823-1835) sont exclusivement de Salfi. La partie du travail de Ginguéné qui a vu le jour après sa mort traite, conformément au plan qu’il s’était tracé : 1° des études graves et scientifiques dans les écoles et dans les universités, de la culture des langues anciennes, des ouvrages en prose et en vers, aussi remarquables dans ce siècle par leur élégance que par leur nombre. 2° des ouvrages italiens en prose : philosophie, politique, histoire, dialogues, lettres, mélanges, nouvelles dans le genre du Décaméron26, etc.

Cet admirable ouvrage, auquel on ne peut reprocher d’autre défaut que d’avoir été conçu sur une échelle qu’un seul homme ne pouvait parcourir, et dont l’étendue effrayait Ginguéné lui-même, est resté, malgré quelques défauts inévitables d’exécution ; son titre le plus durable à la célébrité. En remontant aux sources originales, et en évitant avec sagacité la stérile prolixité de ses devanciers italiens, il a dégagé sa matière de tout appareil superflu d’érudition, et l’a traitée avec cet esprit vraiment philosophique qui sait associer les aperçus généraux aux faits individuels, et déterminer les causes comme les résultats des uns et des autres. L’impartialité et la rectitude des jugements de Ginguéné furent proclamées, non seulement en France, mais encore dans la Péninsule. Les Italiens ne dissimulèrent pas leur étonnement qu’un étranger eût pu parvenir à connaître si intimement leur langue, et à démêler avec un tact si parfait les beautés, même les plus secrètes, des chefs-d’œuvre qu’ils ont tant de raisons d’admirer. Frappés des vues neuves, des aperçus ingénieux, des observations délicates et profondes qui justifiaient l’heureuse témérité du littérateur français, ils publièrent, à Venise, à Milan et à Naples, plusieurs éditions ou traductions de l’Histoire littéraire, auxquelles les hommes les plus célèbres et les plus érudits de ces pays ajoutèrent des notes et des commentaires. Devant de tels témoignages d’estime, le gouvernement italien ne pouvait rester muet. Aussi le prince Eugène envoya-t-il à Ginguéné, comme consécration du sentiment national, une médaille d’or, accompagnée, le 12 juin 1813, d’une lettre de félicitations des plus flatteuses. Honteux d’avoir été devancé, le gouvernement français ne put se dispenser de récompenser le littérateur qui faisait rejaillir tant d’honneur sur son pays. Il nomma Ginguéné chevalier de l’ordre de la Réunion.

Peu de mois après, Napoléon descendit du trône. Ginguéné n’avait aucun motif personnel de l’aimer. Il vit donc la Restauration sans trop de répugnance, préparé qu’il y était d’ailleurs par son ami le colonel Laharpe, qui lui avait bien souvent vanté les principes libéraux de l’empereur Alexandre. Présenté, en 1814, au czar, qui l’accueillit avec distinction, il crut que l’influence de ce prince s’étendrait sur le nouveau régime ; mais ses illusions se dissipèrent promptement, et lors du retour de Napoléon, en 1815, il s’était décidément enrôlé dans l’opposition anti-bourbonienne. Il ne s’était au reste avili, ni par des flatteries envers l’ancienne dynastie, ni par des injures contre celui dont il avait désiré la chute. Quelqu’un l’ayant engagé à suivre l’exemple de ceux qui, après avoir vécu des basses adulations qu’ils prodiguaient à Napoléon, furent les plus ardents à insulter l’idole renversée, il répondit avec la finesse ingénieuse qui le caractérisait si bien : « Je laisse ce soin à ceux qui l’ont loué puissant ! ». Persuadé néanmoins, pendant les Cent-Jours, que Napoléon reviendrait franchement aux principes de la Révolution, les seuls qui pussent, selon lui, assurer son maintien, il essaya de s’attacher à son gouvernement et demanda, dans l’université, un emploi qu’il ne put obtenir, malgré l’appui de Carnot et de Fouché27, qui l’avaient entraîné dans cette démarche. Il fit alors, d’après les instructions de ce dernier, un voyage en Suisse pour y voir son ami Laharpe28 et savoir de lui si, par son entremise, il ne serait pas possible d’arriver à un rapprochement avec l’empereur Alexandre. Mais l’ancien précepteur du czar était disgracié et tout-à-fait sans crédit auprès de son élève. Le voyage de Ginguéné n’eut donc aucun résultat. Et il était à peine revenu à Paris que les alliés y entraient pour la seconde fois.

Cet événement le ramena à ses travaux littéraires, qu’il n’aurait jamais dû déserter. Mais sa santé était fort affaiblie, et l’année suivante, il essuya une longue et cruelle maladie, qui le conduisit aux portes du tombeau. Entré en convalescence, il alla chercher une retraite paisible dans sa petite maison de campagne de Saint-Prix, où lady Morgan29, dans une visite qu’elle lui fit et qu’elle a racontée (La France, t. II, p. 65 et suivantes), eut occasion d’apprécier la vivacité, l’enjouement, la profondeur de cet esprit qui avait conservé toute sa vigueur, bien que le corps marchât rapidement vers le dernier degré de la consomption. Mais, entouré des soins de sa Nancy et d’un jeune Anglais, leur fils d’adoption, Ginguéné s’abusait tellement sur sa situation, qu’il parlait des améliorations que lui procurerait le retour du printemps.

Ce printemps, il ne devait pas le revoir. Revenu à Paris, dans un état de souffrance désespérant, il y mourut, au bout de quinze jours, le 16 novembre 1816. Ses restes mortels furent déposés, le surlendemain, au cimetière du Père Lachaise, auprès de ceux de Parny30et de Delille31. On lit sur son tombeau cette épitaphe que lui-même avait composée :

Celui dont la cendre est ici

Ne sut, dans le cours de sa vie,

Qu’aimer ses amis, sa patrie,

Les arts, l’étude et sa Nancy32.


Ces vers sont eux-mêmes tirés d’un poème de Ginguéné, composé en 1801 et appelé “Convalescence”, dont nous tirons les extraits suivants :

Oublions tant de maux soufferts.
Viens : cette champêtre retraite
Nous offre de si doux abris !
D'ici l'on voit encor Paris;
Mais il n'a rien qu'on y regrette :
Le vrai bonheur est à Saint-Prix.

 Ici de ma Santé fragile
Je vais rassembler les débris.
Tous travaux me sont interdits ;
Mais avec Horace, Virgile,
Avec tant d'immortels Esprits
Dont le commerce m'est permis,
Le régime est doux et facile ;
Et ne rien faire a bien son prix.

Si le Sort veut que je succombe,
Que ta main me ferme les yeux !
Et dans ce bois silencieux
Fais graver ces mots sur ma tombe :
« Celui dont la cendre est ici,
Ne sut, dans le cours de sa vie,
Qu'aimer ses Amis, sa Patrie,
Les arts, l'étude et sa Nancy »33.


M. Daunou34 prononça à ses funérailles un discours qui a été reproduit en tête du Catalogue de la bibliothèque de Ginguéné, et à la suite de la notice qui précède la seconde édition de l’Histoire littéraire d’Italie. Les sentiments qu’il y exprime sur son illustre ami concordent de tous points avec ceux dont M. Dacier s’est fait l’interprète dans le t.VII, p. 145-159, des Mémoires de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Paris, F. Didot, 1824, in-4°. L’un et l’autre le représentent comme le modèle des époux et des amis, et comme un homme loyal, sensible et généreux, qui, s’il ne perdait pas volontiers l’occasion de placer un bon mot et une raillerie piquante, laissait encore moins échapper celle de rendre un bon office ou de faire une bonne action. – l’Histoire littéraire de la France, t. XIV, publiée en 1817, renferme une notice où Amaury Duval constate les services que son compatriote et ami rendit plus particulièrement à ce recueil. Ceux dont lui est redevable la littérature italienne ont été appréciés avec détail dans l’Éloge de Ginguéné, par Salfi, éloge qui termine le dixième volume de l’Histoire littéraire d’Italie. Enfin, deux notices remarquables sont encore consacrées à Ginguéné, l’une dans l’Examen critique de Barbier, l’autre dans la Biographie universelle, t. LXV, p ; 340-350. Tous ces travaux nous ont été d’un grand secours dans la rédaction de la présente notice.

Ginguéné était membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, associé correspondant de l’Académie della Crusca, membre non résidant de l’Académie de Turin, de l’Académie celtique, depuis des Antiquaires de France, des Sociétés académiques de Nantes, Niort, Vaucluse, etc. Fleuriot de Langle, dans son pamphlet intitulé l’Alchimiste littéraire (1801), loue Ginguéné comme poète et comme littérateur. Puis il ajoute :

« Malheureusement son nom qu’on prononçait et écrivait Guinguené, gâte tout ce qu’il fait, tout ce qu’il signe. Le nom n’est pas une chose indifférente : il plaît ou il déplaît ; il prévient pour ou contre ; il flatte ou il déchire l’oreille ».

Indépendamment des ouvrages cités ou analysés dans la notice qui précède, Ginguéné a laissé ceux qui suivent :

I. La Satyre des Satyres, en vers, Paris, 1778, in-8°. Dans une des notes de cette brochure, Ginguéné reproche durement à l’abbé Grosier d’avoir signalé sa haine contre les philosophes modernes par une diatribe contre Duclos, en tête d’une nouvelle édition des Considérations sur les mœurs de ce siècle. Grosier a protesté n’avoir rien écrit contre Duclos, et Ginguéné l’a sans doute confondu avec l’ex-jésuite Maréchal, dit de la Marche, qui, en effet, a invectivé les philosophes modernes dans une notice sur Duclos, en tête de la sixième édition des Confessions du comte de ***, Paris, Costard, 1772, in-8°.

II. Notice sur la vie et les écrits de Champfort, en tête de l’édition des œuvres de cet écrivain, publiées par Ginguéné, Paris, an III (1795), 4 vol., in-8°.

III. Nouvelle grammaire raisonnée à l’usage d’une jeune personne (avec Laharpe et Suard), Paris, Panckoucke, 1795, in-8°; parvenue à sa quatrième édition, en 1802.

IV. Notice sur la vie et les ouvrages de Piccinni, Paris, Vve Panckoucke, 1802, in-8°, de 11 et 144 p. Ce savant opuscule expose les progrès de la musique en Italie et en France pendant un demi-siècle. La brochure que Ginguéné avait publiée, en 1783, sous le nom de Mélophile, n’était pas un exemple de l’esprit de coterie ; la notice sur Piccinni n’est dictée que par l’amour de l’art et de la vérité.

V. Deux Lettres à un académicien de Turin (l’abbé Valperga de Caluso) sur un passage de la Vie de Victor Alfieri, Paris, 1809, in-8°. Lorsqu’après le 10 août 1792, Alfieri quitta précipitamment Paris, où il résidait depuis plusieurs années, le gouvernement français, par un sauvage abus du droit des gens, le considéra comme émigré et confisqua ses meubles ainsi que 1 500 volumes de sa bibliothèque. Ginguéné était complètement étranger à cette spoliation. Mais quand, après le 9 thermidor, il fut mis à la tête de l’Instruction publique, il fit offrir à Alfieri de lui rendre 150 volumes de cette bibliothèque. Irrité contre les Français et leur Révolution, dont il avait d’abord été partisan, Alfieri ne se borna pas à répondre au bon procédé de Ginguéné par une lettre des plus outrageantes pour la France, il exhala en outre sa colère dans son autobiographie, dont une traduction française fut publiée, après sa mort, sous ce titre : Vie de Victor Alfieri, écrite par lui-même, et traduite de l’italien, par M. Petitot, Paris, Nicolle, 1809, 2 vol., in-8°. Les deux lettres de Ginguéné sont une réponse aux outrages d’Alfieri. Il n’en est resté en France que très peu d’exemplaires, l’auteur ayant fait passer presque toute l’édition en Italie, parce que le passage où il est question de lui était un de ceux qui avaient été retranchés dans la traduction française de la vie d’Alfieri. Il est à remarquer que l’article sur Alfieri, dans la Biographie universelle (t. Ier, p. 554-558), est de Ginguéné qui, malgré les torts graves de son adversaire, a su apprécier son mérite et ses défauts avec une rare impartialité et une exquise délicatesse.

VI. Notice sur l’état actuel de la question relative à l’authenticité des poèmes d’Ossian, (En tête de : Ossian, fils de Fingal, Barde du IIIe siècle, poésies galliques, traduit sur l’anglais de J. Smith, pour servir de suite à l’Ossian de Le Tourneur), Paris, Dentu, 1810, 2 vol., in-8°.

VII. Fables nouvelles, Paris, Michaud frères, 1810, in-18. Sur les cinquante fables dont se compose ce recueil, quarante ne sont guère que des traductions de quatre fabulistes italiens, Giambatista Roberti, Lorenzo Pignotti, Gherardo de Rossi et Aurelio Bertola. Ginguéné y a bien fait, il est vrai, des additions destinées à mieux faire ressortir l’intention morale de chaque auteur. Ces fables sont écrites avec correction et facilité, mais on cherche en vain ce caractère de naïveté, qui est l’attribut de l’apologue ; on y désirerait aussi moins de froideur et plus de variété dans les tons, qui se produisent parfois sous une forme épigrammatique annonçant un censeur austère et chagrin.

VIII. Notice sur la vie et les ouvrages de Ponce Denis Écouchard Le Brun, en tête de l’édition de ses œuvres, Paris, G. Warée, 1811, 4 vol., in-8°. L’éditeur a élagué de ces œuvres un assez grand nombre des épigrammes décochées à des littérateurs encore vivants en 1811. Il en a laissé néanmoins subsister quelques-unes dont il disait n’avoir pu deviner l’application. Parmi ces dernières se trouvait celle que Le Brun, son ami, avait dirigée, dit-on, contre lui, et qui se terminait par ces vers :

Et tant lima son vers mince et poli

Que le grand homme est devenu joli.

Les suppressions de Ginguéné ont eu pour résultat, aux yeux de beaucoup de personnes, de faire moins rechercher son édition que celles où se trouvent ces épigrammes.

IX. Préface française (à la tête des nouvelles Fables de Phèdre, traduites en vers italiens par M. Petroni, et en prose française, par M. Biagioli), Paris, P. Didot l’aîné, 1812, in-8°. Ginguéné y soutient (p. 22 de sa notice) que les trente-deux fables de ce recueil, publiées d’après un manuscrit de Perotti, trouvé à Naples, sont réellement de Phèdre et ne peuvent être que de lui.

Leur authenticité a néanmoins été contestée dans un récit intitulé : Examen des nouvelles Fables de Phèdre, qui ont été trouvées dans le manuscrit de Perotto, et dont il y a déjà eu huit éditions, cinq à Naples et trois à Paris. Doutes sur leur authenticité, Paris, 1812, in-12.

X. Les Noces de Thétis et de Pelée, poème de Catulle, traduit en vers français avec le texte à côté, Paris, Michaud, 1812, in-12. Le principal mérite du travail de Ginguéné, entrepris dans le but de réconcilier le goût avec l’érudition, c’est d’avoir rectifié plusieurs des interpolations et leçons vicieuses que différents glossateurs avaient introduites dans les poésies de Catulle, retrouvées au XIVe siècle. Ce fut sur un texte épuré, d’abord par Joseph Scalinger, ensuite par Isaac Vossius, enfin par lui-même, qu’il tenta sa traduction, à laquelle on ne peut refuser l’avantage d’une laborieuse fidélité, mais où l’on serait en droit d’exiger plus de chaleur, d’élégance et d’harmonie.

XI. Fables inédites, servant de supplément au recueil publié en 1810, et suivies de quelques autres poésies du même auteur, Paris, Michaud, 1814, in-18. Ce recueil contient, outre dix fables que la censure impériale avait frappées de son veto, d’autres poésies qui forment la plus grande partie du volume. On y retrouve les qualités et les défauts du recueil de 1810.

XII. Notice sur la vie et les ouvrages de Galiani, placée en tête de sa correspondance historique, Paris, Treuttel, 1818, 2 vol., in-8°.

XIII. Rapports sur les travaux de la classe d’histoire et de littérature ancienne, Paris, imprimerie de Beaudouin et de F. Didot, 1807-1813, sept cahiers in-4°. Le recueil de ces rapports, remarquables par une analyse judicieuse, forme à lui seul un ouvrage d’une certaine étendue.

XIV. Un grand nombre d’articles, consacrés dans la Biographie universelle aux littérateurs italiens.

Pour exécuter plus facilement ses divers travaux, Ginguéné s’était formé une bibliothèque composée des meilleurs ouvrages anciens et modernes. Il en avait lui-même rédigé en grande partie le catalogue, divisé en deux parties. La première, comprenant les livres grecs, latins, français, anglais, etc., renfermait 2 686 articles ; la seconde, exclusivement consacrée aux livres italiens, ou écrits en d’autres langues, mais traitant de l’histoire ou de la littérature italienne, s’élevait à 1 675 articles. Cette bibliothèque a été vendue en entier au Musée britannique. Le catalogue en a été publié sous ce titre : Catalogue des livres de la bibliothèque de feu M. P.-L. Ginguéné, etc., Paris, Merlin, 1817, in-8°. Il est précédé d’une Notice de Garat, notice très incomplète en même temps qu’elle est fort exagérée dans l’éloge de quelques-unes des productions de Ginguéné ».


AUTRES ÉLÉMENTS BIOGRAPHIQUES OU BIBLIOGRAPHIQUES


La biobliographie de Kerviler

Signalons une bibliographie également très détaillée de Pierre-Louis Ginguéné dans l’ouvrage de René Kerviler, Répertoire général de Biobibliographie Bretonne, parue en 1904, réédité en 197835. Là encore, on pourra constater que cette notice, écrite en 1904, est également empreinte d’esprit contre-révolutionnaire. Elle cache, en particulier l’inflexible et courageux combat de Ginguéné, à la fois contre la dictature napoléonienne, pour les principes des Lumières, et contre l’esclavage, dans un régime redevenu esclavagiste. Ce qui lui vaudra la rancune de Chateaubriand36 : le « Grand Paon » ne lui pardonna pas la critique des thèses racistes du Génie du Christianisme que Ginguéné fit imprimer dans la Décade Philosophique dès la parution de l’ouvrage en 1802 (la Décade Philosophique fut supprimée par la dictature en 1807). Concernant le racisme de Chateaubriand, on peut toujours évoquer le père, négrier, la scène nocturne de Combourg, avec passage fugitif de deux « nègres grimaçant » (évidemment !) dans la grande salle du château. Il faut également relire le chapitre Missions des Antilles dans le Génie du Christianisme, que critiqua Pierre-Louis Ginguéné. Texte ahurissant, comme beaucoup d’écrits encouragés par Bonaparte, mais que l’on préfère oublier37.


La biographie de Mongrédien

Nous proposons par ailleurs, une biographie plus résumée, mais complémentaire, de l’homme de lettres, publiée dans le Dictionnaire de Biographie française par J. Mongrédien, dans le tome 16, paru en 1985.

« Pierre-Louis Ginguéné est né à Rennes le 25 avril 1748 et est mort à Paris le 16 novembre 1816. Après avoir fait des études à Rennes chez les jésuites, il arriva à Paris en 1772. À partir de 1778, il fut commis au contrôle général des finances. Arrêté sous la Terreur et libéré le 23 thermidor, il occupa diverses charges dont celle de commissaire de l’Instruction publique au ministère de l’Intérieur. Élu en 1795 à la classe des sciences morales et politiques de l’Institut, il fut nommé ensuite ambassadeur de France à Turin en décembre 1797. Membre du Tribunat après le 18 Brumaire, il devait terminer sa carrière à Paris comme professeur de littérature italienne à l’Athénée.

Son œuvre de critique et d’essayiste est importante et diverse. Sous le pseudonyme de villageoise (1793-1795). Parmi ses autres œuvres, on doit citer : Lettres sur les Confessions de J.J.Rousseau, 1791 ; Encyclopédie méthodique. Dictionnaire de Musique : la première partie, publiée en 1791, est écrite en collaboration avec Framery et va jusqu’aux lettres gre-. La suite, publiée plus tardivement (1818), est signée Framery, Momigny et Ginguéné et il semble que la contribution de ce dernier à l’ouvrage soit plus réduite. Notice sur la vie et les ouvrages de Nicolas Piccinni, 1801, écrite au moment de la mort du compositeur italien dont Ginguéné avait été un défenseur ardent contre Gluck. À une époque où la critique musicale, au sens moderne du mot n’existe pas encore et où tant d’écrivains se contentent d’aimables bavardages autour du sujet, cette Notice de Ginguéné apparaît comme un ouvrage critique étonnamment lucide et intelligent. Coup d’œil rapide sur le « Génie du Christianisme », 1802. Histoire littéraire de l’Italie, 14 tomes, les 9 premiers seuls étant de Ginguéné (les derniers terminés par F. Salvi). Publiée à partir de 1811, cette longue étude, dit l’auteur dans sa Préface, a pour point de départ un cours prononcé à l’Athénée de Paris en 1802.

Autres écrits sur l’œuvre de Ginguéné 

- L’article de Jean Roussel dans J. Sgard, Dictionnaire des journalistes, Grenoble, 1976, très complet annule tous les travaux antérieurs.

- Quelques documents inédits à la Bibliothèque nationale, département des manuscrits, n.a.f., 9192-9220 et département de la musique, Rés. 1937 (notamment une théorie de la musique et un traité d’accompagnement au clavecin)38.

Nous ajouterons les ouvrages bibliographiques suivants :

- Paolo Grossi, Pierre Louis Ginguéné, historien de la littérature italienne, Bern, Lang, 2006.

- Édouard Guitton (sous la dir.), Ginguéné : idéologue et médiateur, Rennes, P. U. R., 1996, 300p.

- Paul Hazard, Journal de Ginguéné, 1807-1808, avec une étude, Paris, Hachette, 1910.

- Gérard Sèvegrand, Loïc Chermat, Retour sur l’ascendance de Pierre-Louis Ginguéné, in Bulletin de la Société archéologique et historique d’Île-et-Vilaine, t. CIII, 2000, 54 p39.

- Cristina Trinchero, Pierre Louis Ginguéné (1748-1816), e l’identită nazionale italiana nel contesto culturale europeo, Roma, Bulzoni, 2004, (en italien).

- Sergio Zoppi, P.-L. Ginguéné journaliste et critique littéraire, Torino, G. Giappichelli, 1968.


Ginguéné franc-maçon

Pierre-Louis Ginguéné fut membre actif de la loge maçonnique des Neuf Sœurs. Cette loge a été fondée en 1776 par Jérôme de Lalande, avec le soutien d’Anne-Catherine de Ligniville Helvétius. Cette loge eut une influence particulière dans l’organisation du soutien français à la Révolution américaine40. Au début de la Révolution, les Neuf Sœurs devinrent Société nationale et subsista jusqu’à 1792. Elle se reconstitua en 1805 et poursuivit ses travaux jusqu’en 1848, avec une interruption entre 1829 et 1836, mais ne parvint jamais à retrouver l’éclat de sa première décennie. Dominique Joseph Garat, Volney, Pierre-Jean-Georges Cabanis, Pierre-Louis Ginguéné et Destutt de Tracy animèrent le cours de sciences politiques et morales à l’Institut. Pierre-Louis Ginguéné publia son journal la Décade Philosophique. Destutt de Tracy forgea le mot idéologie pour désigner leur philosophie. Napoléon Bonaparte, qui n’appréciait pas l’indépendance intellectuelle des idéologues, fit fermer en 1803 le cours de sciences politiques et morales41. Napoléon reconnut plus tard la main du cercle d’Auteuil dans l’opposition de Maine de Biran à sa politique en 181342.


La maison de Pierre-Louis Ginguéné à Saint-Prix

Comme nous l’avons vu, sa modeste maison « de campagne » à Saint-Prix n’était autre que l’ancien Prieuré Blanc, ou prieuré du Bois Saint-Père43, situé en face de l’église Saint-Germain44.

En 1999, Cristina Trinchero, étudiante en littérature française du XVIIIe siècle, de l’université de Turin (Italie) nous avait contactés pour obtenir des documents d’archives sur P.-L. Mélophile. Ce dernier avait signé de nombreux articles de critique musicale dans Le Mercure de France, La Gazette nationale ou Le Moniteur universel. Il fut également le principal rédacteur de La Feuille Ginguéné. Mlle Trinchero a depuis publié un ouvrage, en 2004, sur notre célèbre critique de lettres et italianiste, intitulé Pierre Louis Ginguéné (1748-1816), e l’identită nazionale italiana nel contesto culturale europeo45.

C’est donc à l’époque, au cours de nos recherches sur Ginguéné, que nous avons retrouvé plusieurs documents aux Archives municipales qui confirment sa présence à Saint-Prix pendant dix-huit ans, du moins à la belle saison de mai à novembre, de chaque année. L’un de ces documents concerne un achat complémentaire d’un jardin clos de murs, composé de deux terrasses, planté en arbres fruitiers et un petit bois, nouvellement planté en châtaigniers, pour agrandir son domaine, près de quatre ans après avoir acheté la maison de l’ancien prieuré avec ses dépendances.

Acte de vente, le 8 germinal an XI (29 mars 1803) entre Marie Françoise Lecomte et Pierre Louis Ginguéné :

« Vente en la commune de Saint-Prix, présentement appelée Bellevue la Forêt :

- d’un jardin clos de murs, composé de deux terrasses, planté en arbres fruitiers.

- d’un petit bois nouvellement planté en châtaigniers

le tout se joignant et contenant quarante ares, quatre vingt quatre centiares appartenant à Mlle Marie Françoise Lecomte fille majeure demeurant à Paris, rue des Mauvais garçons, n° 368, division de l’Unité.

Vente faite à Mr Pierre-Louis Ginguéné, membre de l’Institut National, demeurant rue Madame, n° 1252, division du Luxembourg. Moyennant la somme de douze cents francs, en deux versements de six cents francs plus les intérêts et frais, en espèces d’or et d’argent

- le premier versement le 1° thermidor An XI, soit six cent dix huit francs soixante six centimes.

- le deuxième versement le 1° messidor An XII, soit six cent treize francs soixante quinze centimes.

Il y a prise d’hypothèque y compris sur les biens appartenant à Mr Ginguéné, des maisons et terre situées en la Commune de St.-Prix46 ».

Sa veuve, Mme Nancy Ginguéné, revendra la propriété, le 13 juin 1817, à M. Choblet47. Viendront ensuite habiter le Prieuré Blanc, Monsieur Morize, maire de Saint-Prix de 1821 à 1830, Monsieur de Saint-André et son successeur, Auguste Rey, jusqu’en 1915. Les derniers habitants contemporains de ce prieuré sont la Communauté Emmaüs et actuellement la Fraternité Saint-Jean.


La visite de Lady Morgan à Ginguéné, à Saint-Prix

Lady Sydney Morgan48 nous a donné une des rares descriptions du séjour de Ginguéné à Saint-Prix, peu de temps avant sa mort, en 1816, dans son ouvrage La France49.

« Ce fut au commencement de l'année 1816 que M. Ginguené chercha une retraite paisible et permanente dans sa maison de campagne, à Eaubonne50, où il fut accompagné par sa digne épouse, qu'on ne peut assez estimer, et par un fils adoptif, jeune Anglais, objet de tous leurs soins et de leurs instructions. Monsieur et madame Ginguené nous adressèrent une invitation d'aller les y voir, et pendant notre séjour en France, il en est peu que nous reçûmes avec plus de plaisir, et que nous acceptâmes avec plus d'empressement. Eaubonne a bien des droits à la célébrité. C'est là qu'ont demeuré Saint-Lambert et madame d'Houdetot. C'est un lieu consacré par tant de pèlerinages amoureux de Jean-Jacques Rousseau. Ce petit village, écarté et romantique domine sur la vallée de Montmorency, et ajoute beaucoup à la beauté pittoresque de ce canton enchanteur. Nous y arrivâmes à travers des bois de cerisiers et de vignes, les uns chargés de fruits, les autres en pleines fleurs, et par un sentier si escarpé, si tournant, si difficile, que nous fûmes obligés de faire à pied plus d'un demi-mille, tandis que notre voiture pouvait à peine nous suivre dans cette montée rapide.

L'agréable demeure de M. Ginguené est située sous les hauteurs de Montmorency, au haut d'une éminence escarpée et au milieu d'un beau jardin, qui était ce moment enrichi de tous les trésors et de tous les parfums de la saison, que faisaient éclore les rayons d'un soleil superbe, mais presque insupportable. Nous trouvâmes le maître aimable et distingué de cette charmante habitation, fané, flétri, au milieu de la plus brillante végétation. Il nous parut dès lors marcher rapidement vers la dernière période de la consomption. Mais après le premier choc que la visite d'un étranger cause toujours à l'homme dont la santé est décidément dérangée, toute infirmité corporelle disparut devant la vigueur inépuisable d'un esprit d'où découlaient sans cesse les plus aimables plaisanteries, et qui, par ses tournures piquantes et ses allusions heureuses, donnait à la conversation d'un philosophe cette tournure épigrammatique qui procure la réputation d'homme d'esprit, même à celui qui n'est qu'homme du monde. M. Ginguené était descendu de son cabinet pour nous recevoir. Malgré toutes nos remontrances, il voulut nous accompagner dans son jardin. Il voulait même nous suivre jusque sur les hauteurs de Montmorency pour nous montrer quelques-uns des plus beaux points de vue de la vallée qu'elles dominent, et nous fûmes obligés de le forcer, en quelque sorte, à renoncer à un projet pour lequel ses forces paraissaient insuffisantes.

M. Ginguené est un amant passionné de la vie champêtre. Quand il me vantait la paix et le bonheur dont il jouissait dans sa retraite, qu'il me montrait la collection de ses rosés, qu'il me parlait des greffes qu'il avait dessein de faire la saison suivante, j'éprouvais, en l'écoutant, un plaisir mêlé de mélancolie. La mort était empreinte sur son front, et il parlait d'un renouvellement de la vie, d'un printemps à venir. Comme je l'aidais à cueillir quelques fleurs, le jardinier, gros paysan d'un air de bonne humeur, roulait sa brouette près de nous. M. Ginguené lui demanda un lien pour attacher nos bouquets, et s'adressa à lui en le nommant mon bon Charles. Je répétai, d'après sa charmante fable du Pêcher :

Mon bon Charles,

Qui plus et mieux qu'un oiseau parle.

« Oui, me dit M. Ginguené, vous avez raison; c'est mon bon Charles, le héros du vieux pêcher, dont vous avez la bonté de vous souvenir » […]. Cette journée, la seule où j'eus le plaisir de voir M. Ginguéné, ne se passa que trop rapidement : on eut la bonté de nous presser de réitérer notre visite, de la réitérer souvent; nous le promîmes avec le désir et l'intention de tenir notre parole ; mais des circonstances impérieuses s'y opposèrent, et nous ne vîmes plus l'excellent, le philosophe Ginguené. Mais nous emportâmes de sa retraite des impressions de la sagesse et de la dignité humaine, qui nous firent concevoir plus d'estime pour l'espèce à laquelle il appartient, et nous quittâmes ce sage aimable avec des sentiments d'admiration et de regret qui auraient été encore plus profonds, si nous avions su que nous prenions congé de lui pour toujours.

Madame Ginguené, le modèle des femmes dévouées à leurs maris, est pleine de talents et de connaissances. Quoique simple dans sa personne et dans sa parure, et sans prétentions dans ses manières, du moment qu'elle entre en conversation, elle fait sur l'esprit une impression à laquelle on ne peut se méprendre. Une phrase, un mot quelquefois suffit pour la faire apprécier. Il était pourtant impossible de reconnaître l'ambassadrice de France en Sardaigne, dans la garde attentive et fatiguée d'un mari valétudinaire51 ».


En conclusion

Il serait juste que la municipalité de Saint-Prix rende hommage à Pierre-Louis Ginguéné, ce savant homme de lettres, journaliste, écrivain, poète, professeur, membre de l’Institut, qui habita avec son épouse Mme Nancy Ginguéné, précédemment à Auguste Rey52, le « Prieuré Blanc », et cela pendant près de dix-huit ans, en lui dédiant une rue de la commune, comme cela a été fait par exemple pour ce dernier, pour l’explorateur Louis Delaporte53, et pour les peintres Albert-Pierre Maignan et Charles-Philippe Larivière54.



Gérard Ducoeur,

avec une contribution de Hervé Collet,

avril 2010.



Publié sur le site de Valmorency (Association pour la promotion de l’histoire et du patrimoine de la Vallée de Montmorency) : www.valmorency.fr

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1 Cf. dans la rubrique « Les historiens de la vallée de Montmorency », notre article « Auguste Rey, maire de Saint-Prix et historien valmorencéen ».

2 Cf. notre article « Histoire générale de Saint-Prix », avec bibliographie des autres articles et ouvrages.

3 Excursion à Saint-Prix le 31 mars 1910, par Auguste Rey, vice-président de la Société Historique de Pontoise et du Vexin, 1912, p. 14.

4 Cité par Auguste Rey, dans idem., p. 11.

5 Rey (A.), Le Pèlerinage de Saint-Prix, Paris, chez H. Champion, 1908, 150 p., en part. p. 63.

6 Prosper-Jean Levot, P.-L. Ginguéné, in Biographie Bretonne. Recueil de notices sur tous les bretons, qui se sont fait un nom, éd. Cauderan, Vannes et Dumoulin, Paris, t. I, 1852, p. 799-808, Réédition Slatkine Reprints, Genève, 1971, 975 p.

7 La Confession de Zulmé a été imprimée à part, Paris, Havard, 1833, et Le Doyen, 1837, in-32°.

8 Piccinniste : partisan de Niccolo Piccinni, de sa manière, de son style.

9 Niccolo Piccinni, compositeur italien (Bari 1728 - Paris 1800) vient à Paris et compose des œuvres dramatiques sur des textes de Quinault et de Marmontel. Après le succès de Roland (1777), qui dresse contre lui les partisans de Gluck, il devient directeur de la troupe italienne qui alterne à l’Opéra avec la troupe française, et lui fait jouer ses œuvres, empreintes de charme et d’élégance : Le Finte Gemelle, Cecchina, Il Vago disprezzato (le Fat méprisé) [1779], Atys (1780).

10 Gluck (Christoph Willibald, chevalier Von), compositeur allemand [ou tchèque] (Erasbach, près de Weidenwang, Haut-Palatinat, 1714 – Vienne 1787).

11 Framery (Nicolas Etienne), compositeur et musicographe français (Rouen 1745 – Paris 1810). Surintendant de la Musique du comte d’Artois, il fut chargé de la rédaction du Journal de la musique, fondé en 1764 par Mathon de La Cour.

12 Momigny (Jérôme Joseph de), théoricien français de la musique (Philippeville [auj. en Belgique] v. 1762 – Paris 1838).

13 Ce vers est tiré d’une œuvre (écrite entre 42 et 39 av. J.C.) de Virgile, Publius Virgilius Maro, poète latin (v. 70- 19 av. J.C.) : Les Bucoliques, égl. III, v. 6. « Quel maître aurait le front que montre un tel valet ? ».

14 Le Directoire est le régime qui a succédé à celui de la Convention, le 4 brumaire an IV (26 oct.1795), et a duré jusqu’au coup d’État du 18 brumaire an VIII (9 nov. 1799). Parmi les membres de cette instance, composée de cinq hommes d’État, il convient de signaler deux personnages de la vallée de Montmorency : Gohier, qui s’est installé à Eaubonne et La Réveillère-Lépeaux, qui a résidé à Andilly.

15 Jacques Necker était financier et homme d’état (Genève 1732-Coppet près de Genève 1804). Plusieurs fois ministre des finances de Louis XVI, celui-ci le rappela enfin le 16 juillet 1789 et il resta au pouvoir jusqu’en septembre 1790.

16 Carnot (Lazare), surnommé l’Organisateur de la Victoire, ou le Grand Carnot, homme politique français (Nolay, Bourgogne 1753-Magdeburg 1823). Élu à la Législative, il devient membre du comité d’Instruction publique. Il est l’un des acteurs du 9-Thermidor. Il ne se maintient pas au Directoire, où il a été porté en octobre 1795 ; le coup d’État du 18-Fructidor le frappe.

17 Refuge des émigrés, la ville de Turin (Italie) devient un foyer contre-révolutionnaire (1790), mais la ville est occupée par les Français en 1798.

18 Brune (Guillaume), maréchal de France (Brive-la-Gaillarde 1763-Avignon 1815). Ouvrier typographe, journaliste, il obtint, grâce à Danton, la charge de la réquisition des chevaux et des voitures (1792).Vainqueur à Pacy-sur-Eure des fédéralistes de Normandie (1793), il fut nommé général de brigade (août). En 1798, il s’empara du trésor de Berne qui allait financer l’expédition d’Égypte, reçut les commandements des armées d’Italie, puis de Hollande, où il remporta la victoire de Bergen et imposa aux Anglais l’évacuation de la Hollande (convention d’Alkmaar, octobre 1799).

19 Le frac : habit d’homme, à longues basques étroites. C’est aussi le nom donné parfois à l’habit noir de cérémonie.

20 Sa modeste maison « de campagne » à Saint-Prix n’était autre que l’ancien Prieuré Blanc, situé en face de l’église Saint-Germain et achetée le 13 prairial an VII (1er juin 1799), au citoyen Maussallé, par P.-L. Ginguéné. Sa veuve, Mme Nancy Ginguéné la revendra, le 13 juin 1817, à M. Choblet. Voir infra.

21 Le Tribunat, assemblée délibérante et permanente instituée par la Constitution de l’an VIII (1er janvier 1800- 19 août 1807).

22 L’Athénée de Paris, par analogie avec le temple d’Athéna à Athènes où les orateurs et les poètes venaient lire leurs œuvres, surtout à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle, était un établissement où se réunissaient littérateurs et savants pour donner des cours et des conférences.

23 Dante Alighieri est un poète italien (Florence 1265-Ravenne 1321). [Dante, abrév.de Durante, est son prénom ; il ne convient donc pas de dire le Dante, ce qui est contraire à la règle italienne, qui ne met l’article que devant les noms de famille.]. Il appartenait à une famille de la bourgeoisie guelfe, qui avait remplacé au gouvernement de la république les aristocrates féodaux.

24 Pétrarque, en ital. Francesco Petrarca, est un poète et humaniste italien (Arezzo 1304-Arqua, Padoue 1374). Son père, Ser Petracco, appartenait à ce « nouveau peuple », petite bourgeoisie florentine, parfois d’origine campagnarde, qui succéda dans le gouvernement de la république, au « peuple vieux » de l’époque de Dante. Pétrarquiser, c’est imiter la manière de Pétrarque. Se borner à un amour platonique, comme Pétrarque pour Laure [de Noves], qu’il rencontra, en 1327, dans l’église Sainte Claire d’Avignon.

25 Boccace, en ital. Giovanni Boccaccio, est un écrivain italien (Paris 1313-Certaldo, Toscane, 1375). Ses ouvrages d’érudition rappellent que Boccace, comme Pétrarque, annonce l’humanisme de la Renaissance.

26 Décaméron, (gr. deka, dix et Hêmera, jour). Ouvrage contenant le récit d’une succession d’évènements durant dix jours, ou une suite de récits faits en dix jours. Le Décaméron est un recueil de contes, composés par Boccace, à Florence, entre 1348 et 1353.

27 Joseph Fouché, duc d’Otrante (Le Pellerin, près de Nantes 1759-Trieste 1820) a fréquenté la Vallée de Montmorency en habitant quelques mois à Saint-Leu-la-Forêt.

28 Frédéric César de La Harpe est un homme politique et un littérateur d’origine suisse (Rolle, Vaud 1754-Lausanne 1838). Recommandé par Grimm, il devint précepteur des petits-fils de Catherine II, Alexandre et Constantin, auxquels il inculqua des idées libérales. Appelé comme secrétaire par Alexandre Ier, il usa, au congrès de Vienne, de son influence pour obtenir du tsar l’émancipation du canton de Vaud, dont il fut ensuite membre du Grand Conseil.

29 Lady Sydney Morgan était une femme de lettres irlandaise (Dublin 1775-Londres 1859). Elle s’était engagée dans le roman, dès 1803, avec Saint-Clair, imitation du Werther de Goethe, que suivit sa fameuse Jeune Irlandaise (The Wild Irish Girl) [1806], où elle se révèle plus politicienne que romancière. Elle séjourna longtemps en France.

30 Évariste Désiré de Forges, chevalier, puis vicomte de Parny était un poète (Saint-Paul, île Bourbon 1753-Paris 1814).

31 L’abbé Jacques Delille, poète (Aigueperse, Auvergne 1738-Paris 1813) a été admis à l’Académie française à 36 ans (1774). Inquiété pendant la Révolution, il retrouve sous le Consulat sa chaire de poésie au Collège de France. Ce versificateur adroit a appris leur métier aux poètes de la génération de 1820.

32 Prénom de Madame Ginguené.

33 Fables inédites de Mr. P.-L. Ginguené ... servant de supplément à son recueil publié en 1810; et suivies de quelques autres poésies du même auteur, 1814, p. 362. Extrait de Pierre Louis Ginguéné, Francesco Saverio Salfi, Histoire littéraire d'Italie, vol. 1, p. XXVIII.

34 Pierre Claude François Daunou, érudit et homme politique (Boulogne-sur-Mer 1761-Paris 1840). Oratorien, puis membre du clergé constitutionnel, il fut élu par le Pas-de-Calais à la Convention.

35 Kerviler (R.), P.-L. Ginguéné, in Répertoire général de Biobibliographie Bretonne, t. VIII, livre Ier, Rennes, libr. génér. J. Plihon et L. Hommay, 1904, ré-éd. 1978, Joseph Floch, impr. édit. à Mayenne, p. 119-132.

36 François René, vicomte de Chateaubriand (Saint-Malo 1768-Paris 1848). À son retour de l’émigration (mai 1800), il rapporte la première ébauche d’une apologie du christianisme, qui paraîtra le 14 avril 1802 sous le titre Génie du Christianisme. L’influence de Chateaubriand a été immense (spiritualisme chrétien, romantisme, mélancolie, dont naîtra le « mal du siècle ». Il domine toute la littérature de son temps, auquel il a enseigné le secret d’une prose qu’avaient pressentie J.-J. Rousseau et Bernardin de Saint-Pierre. Sa vie même et ses amours (Mme de Beaumont, Mme de Custine, Mme de Noailles, Mme Récamier) contribuaient à son prestige romanesque auprès de celles et de ceux pour qui il était l’« enchanteur ». Sa tombe en face de Saint-Malo, dans l’îlot du Grand-Bé, est restée un lieu de pèlerinage poétique.

37 Commentaires de Jean-Pierre Barlier (à la lecture de ces biographies sur P.-L. Ginguéné), auteur de l’ouvrage, La Société des Amis des Noirs 1788-1791. Aux origines de la première abolition de l’esclavage (4 février 1794), château de La Roche-Guyon, éd. de l’Amandier, La bibliothèque fantôme, févr. 2010, 196 p.

38 Mongrédien (J.), (2.), Ginguéné (Pierre-Louis), in M. Prevost, Roman d’Amat et H. Tribout de Morembert (sous la dir.), Dictionnaire de Biographie française, libr. Letouzey et Ané, Paris, t. 16, 1985, p. 113.

39 Avril (J.-L.), Pierre Louis Ginguéné, in Mille Bretons, dictionnaire Biographique, 2e édit., Les Portes du large, 2003, p.172.

40 Benjamin Franklin, fut l’un des « vénérables » de cette loge (1779-1781), de la première décennie.

41 « C’est une guerre ouverte déclarée à notre science bien-aimée », écrivit Cabanis à Maine de Biran.

42 La Valette-Mombrun (de), Maine de Biran (1766-1824), Paris, 1914.

43 Cf. notre article « Les prieurés des abbayes de Saint-Martin de Pontoise et de Saint-Victor de Paris à Saint-Prix ».

44 Cf. notre article « L’église Saint-Germain et le pèlerinage à Saint-Prix – Le presbytère et la fontaine de Saint-Prix ».

45 Cristina Trinchero, Pierre Louis Ginguéné (1748-1816), e l’identită nazionale italiana nel contesto culturale europeo, Roma, Bulzoni, 2004, (en italien).

46 Archives municipales de Saint-Prix, cote 173 A.

47 Source : Bibliothèque Historique de la Ville de Paris, Collection Parent de Rosan, vol. XX, f° 233.

48 Voir supra note 29.

49 Sydney Morgan, La France, vol. II, p. 65 sq.

50 Lady Morgan fait ici une confusion : il faut lire Saint-Prix.

51 Ginguéné était atteint, dès l’enfance, de phtisie (tuberculose), qui l’a poursuivi toute sa vie, et qui l’atteindra fatalement en 1815-1816. Voici ce qu’en dit Daniel Teysseire, dans son article « Le poète, le pédagogue et le républicain : Ginguené au service de l’instruction publique », in Philosophiques, vol. 22, n° 1, 1995, p. 117-135 :

« D'après Moreau de la Sarthe, la chronologie de l'évolution de la tuberculose pulmonaire dont est mort Ginguéné pourrait s'établir de la manière suivante :

- une prédisposition native due à une constitution rachitique; une tendance aux affections pulmonaires dès la jeunesse, avec crachements de sang dès 15-18 ans, soit entre 1763 et 1766;

- 40 ans d'affection pulmonaire mal soignée, s'aggravant entre 50 et 60 ans, sait entre 1798 et 1808, au moment de sa plus grande activité d'homme public, qui ne favorise pas une thérapie tranquille et continue;

- 1808 : prise en charge de la maladie de Ginguené par le médecin des Idéologues qu'est Moreau de la Sarthe qui lui permet quelques rémissions;

- 1815-1816 : phase finale de la tuberculose pulmonaire de l'auteur de l'Histoire littéraire de l'Italie, il dépérit à vue d'œil. Ramené d'urgence de Saint-Prix à Paris, Il y meurt en deux jours, les poumons complètement nécrosés par le mal tuberculeux.

Le moins que l'on puisse dire de l'évolution de cette tuberculose pulmonaire, c'est qu'elle fut lente, puisqu'elle a laissé, au dire même de Moreau de la Sarthe, 40 années de rémission à Ginguéné ».

52 Voir supra note 1.

53 Cf. notre article « L’explorateur Louis Delaporte (1842-1925) à Saint-Prix ».

54 Cf. notre article « Charles-Philippe Larivière (1798-1876), Albert-Pierre Maignan (1845-1908), les artistes-peintres de Saint-Prix au XIXe siècle ».