GÉOLOGIE DE LA VALLÉE DE MONTMORENCY DANS LE PARISIS




Géologie, géomorphologie, utilisation des roches et des ressources naturelles par l’homme


Le Parisis actuel, plus communément appelé d’une manière restrictive Vallée de Montmorency, qui n’est qu’une partie du territoire historique plus étendu occupé autrefois par l’ancienne Civitas parisiorum, est l’une des trois entités géographiques du Val d’Oise.

Se situant à l’est du Vexin français et au sud-ouest du Pays de France, ses limites sont celles des fleuves et rivières qui le ceinturent : les boucles de la Seine au sud, l’Oise à l’ouest, le ru du Mont-du-Bois – devenu Montubois - au nord-ouest, et le Petit Rosne à l’est.


Son histoire géologique ne lui est pas particulière, mais s’inscrit dans celle, plus vaste, du Bassin parisien, qui se structure et se modèle à l’ère tertiaire pendant près de soixante-cinq millions d’années. Les mouvements de transgression et de régression successifs de la mer, les dépôts de sédiments d’origine marine, lagunaire ou continentale, les contrecoups de l’orogénèse alpine, qui soulèvent ce bassin sédimentaire parisien, concourent à la formation pétrographique et stratigraphique du sous-sol, que les carrières d’exploitation permettent d’observer. Durant le quaternaire, pendant près de deux millions d’années, les phénomènes d’érosion engendrés par le réseau hydrographique et les variations dues aux glaciations façonnent la morphologie des paysages telle qu’elle apparaît de nos jours : la vallée de Montmorency est une portion du grand synclinal qui traverse le département en sud-est – nord-ouest depuis la fosse de Saint-Denis jusqu’au synclinal de la Viosne, encadrée par les buttes témoins bartoniennes et stampiennes de Cormeilles-en-Parisis au sud-ouest (162 mètres d’altitude), de Montmorency (190 mètres) et de Taverny au nord-est pour les plus importantes1.


Ces buttes témoins, universellement connues et étudiées par tous les éminents géologues et dont les coupes géologiques sont toujours reprises et publiées dans les ouvrages d’intérêt scientifique facilement consultables, ont fait la renommée du Parisis par l’exploitation artisanale, puis industrielle, que l’homme a pu tirer des roches qui le forment, principalement le gypse, dont la transformation thermique donne le plâtre2. Ce gypse déjà utilisé localement dès le IIIe siècle de notre ère, comme l’attestent les fouilles archéologiques, continue d’être extrait dans l’immense carrière de Cormeilles-en-Parisis. Dans les buttes témoins du massif de Montmorency, son extraction en galeries souterraines à Villiers-Adam, à Taverny, à Montmorency et à Montmagny, si elle n’a pas modifié exagérément l’aspect du paysage, a, en revanche, fortement fragilisé les bases mêmes de ces buttes (avec le détournement des sources)3. Les marnes, exploitées au-moins depuis 1212 par les Hospitaliers à la marnière de Cernay, associées au gypse, servent à la fabrication du ciment. Les autres matériaux du Parisis ont été largement utilisés au cours du temps pour la construction de l’habitat. Ainsi en est-il de la meulière compacte ou caverneuse qui surmonte ces buttes témoins, et dont les gisements ont été épuisés par les nombreuses « rocailles » de grottes, cascades, ponceaux, fabriques dans les parcs et jardins des châteaux et des grandes maisons bourgeoises du XIXe siècle et les constructions pavillonnaires intensives de ces deux derniers siècles. Les sables stampiens, sous-jacents au niveau de la meulière et constituant une masse importante des buttes (jusqu’à 50 mètres d’épaisseur), sont, quant à eux, employés dans la composition du mortier, du ciment, des briques réfractaires, du verre, ou en fonderie et sablage4.

Entre ces buttes, dans la « vallée », sur les plateaux et les versants, le dépôt quaternaire5 d’une fine poussière silico-argilo-calcaire, connue sous le nom de lœss6, a été grandement exploitée pour la fabrication des tuiles dès la période médiévale, comme à Saint-Leu (sur Taverny) (1362), et au sud-ouest de Montsoult, au lieu-dit les « Thuilleri[e]s » de 67 arpents (plan d’Intendance, c.17807) et les villages d’Eaubonne, de Montlignon, d’Andilly, de Sannois et de Montmorency ont, pour certains, conservé ces briqueteries en activité jusqu’à la seconde moitié du XXe siècle8.


Bien d’autres roches du sous-sol, comme les calcaires lutétiens et les grès stampiens de Beauchamp, ont fourni des matériaux de construction aux habitants, dont la grande majorité travaillait le sol en surface pour en tirer le boire et le manger. La viticulture est développée dès la période gallo-romaine dès le IIIe siècle, et la vigne, bien exposée sur les coteaux exposés au sud et dans la vallée, est longtemps restée l’une des principales ressources.


L’avènement du chemin de fer et les maladies ont fait régresser les clos de vigne, que l’on cherche de nouveau à replanter et à conserver pour maintenir cette tradition vini-viticole du Parisis, comme à Ermont, Saint-Leu, Saint-Prix, Sannois et Argenteuil9. Les marchands-laboureurs, bien connus par les textes de l’Ancien Régime, nombreux dans notre région, ont évolué dans leurs cultures surtout maraîchères, et la vallée s’est couverte dès le XVIIIe siècle d’arbres fruitiers (pommiers, poiriers, pruniers, cerisiers, etc.) et de pépinières qui ont fait la réputation de quelques villages comme celui de Montlignon.


Les pépiniéristes ont alors fourni des quantités considérables d’arbres d’agrément et exotiques pour les parcs et jardins de la capitale (Bois de Boulogne : 400 000 arbres, arbustes, et conifères pour 846 hectares) mais aussi pour les châteaux et grandes maisons bourgeoises qui se construisaient dans toute la vallée de Montmorency, principalement à Eaubonne, Enghien, Ermont, Montmorency, Saint-Gratien, Saint-Leu, Saint-Prix, Taverny dans la seconde moitié du XIXe siècle10.

Le Parisis n’est pas traversé par de grands cours d’eau, mais par de petits rus descendant surtout du complexe des buttes témoins du massif de Montmorency. Ceux du Bois-Corbon, de la Chasse, à Montlignon, de la Fontaine d’Ermont et des Communes, aux trajets bien courts, se jettent dans le lac d’Enghien (Étang Neuf au XIIe siècle, de Montmorency puis d’Enghien) dont les eaux, par le déversoir du ru d’Ormesson, rejoignent la Seine. Le lac d’Enghien, à l’origine un vaste marécage de près de 43 hectares, est un lieu de promenade et de détente apprécié des Parisiens depuis ces deux derniers siècles. D’autre part, le captage des eaux sulfurées, reconnues dès 1766, par le père Cotte, prêtre de l’Oratoire de Montmorency, a amené l’installation de thermes au bord du lac. De même, les sources qui naissent au contact des marnes imperméables ont été captées et commercialisées (Franconville, Saint-Leu)11.

C’est sur les hauteurs de la butte forestière de Montmorency que se sont établis, dès le VIIe millénaire avant notre ère, les premiers sites humains organisés avec les débuts d’une proto-agriculture, notamment aux Pins-Brûlés, sur Saint-Leu, et les premiers habitats du Néolithique ancien de la fin du Ve millénaire avant notre ère ont été découverts à Cormeilles-en-Parisis12.

Les sites de prédominance de ces buttes témoins se sont révélés être d’excellents camps de défense retranchés, comme l’oppidum gaulois du camp de César à Taverny (d’une surface de 8,75 hectares), et la conquête de la Gaule en 52 avant notre ère a amené un développement des fermes gauloises aux alentours (Taverny, Herblay)13 et des voies de communication, dont la chaussée Jules César le long de laquelle se sont établis les villages gallo-romains tels que ceux d’Ermont, au croisement avec un voie gauloise, venant de Lutèce via Argenteuil et Sannois et du vicus ou relais routier du « Carré Sainte Honorine » à Taverny14.

L’occupation mérovingienne du VIe au VIIe siècle, avec ses nécropoles retrouvées par les recherches archéologiques15, annonce la distribution villageoise médiévale du Parisis, fortement régie par la puissante abbaye de Saint-Denis dès la période carolingienne, puis par la châtellenie des Bouchard de Montmorency dès le XIe siècle, et marquée par la construction d’églises romanes et gothiques comme celles de Deuil et de Taverny, ainsi que par la formation des grands domaines seigneuriaux laïcs ou ecclésiastiques16.

Pour ces villages bien individualisés, bien typés, riches de passé, la création du chemin de fer dans la seconde moitié du XIXe siècle a été l’amorce de la transformation rurale.

Après la Seconde Guerre mondiale, les villages sont devenus des villes gagnées par l’expansion démographique, et, à la fin du XXe siècle, alors que la notion de conservation du patrimoine a donné une sensibilité particulière aux communes, beaucoup d’entre elles ont su garder ou ont mis en valeur tout ou partie de cet héritage ancestral pour le préserver comme témoin de leurs origines17.


Gérard Ducoeur

Mars 2009


LES DÉCOUVERTES DE BOIS FOSSILES


Sites ayant fourni des bois fossiles en vallée de Montmorency


Les bois lignifiés sont parfois découverts dans le Quaternaire (1,8 Ma. à nos jours) du Bassin parisien. Citons les troncs de Montmorency trouvés en 1963, lors des travaux de construction de la piscine. L. Honnorat, ingénieur des Mines, relate ainsi cette découverte : « Les sondages et le fonçage ultérieur des puits ont démontré que jusqu’à la profondeur de 11,50 m, les sédiments rencontrés n’étaient nullement dans l’ordre stratigraphique naturel, mais qu’il s’agissait d’une zone d’éboulis sans doute très anciens où se retrouvaient dans un ordre quelconque des masses de limon de plateau (lœss), d’argiles grises et bleues infra et supra-gypseuses et de quelques masses de gypse supérieur. Plusieurs gros troncs de bois fossilisé, avec quelques passées charbonneuses, ont été remontés et se trouvaient à une profondeur de 7 à 10 m en dessous du niveau du sol ». Une datation (Gif-1840) a donné pour ce bois un âge supérieur ou égal à 35 000 ans BP, et donc probablement un Quaternaire plus ou moins ancien d’après les données stratigraphiques (période : Pléistocène supérieur, Würm). Les structures anatomiques semblent être celles d’un cyprès, ou d’un cyprès-chauve ou encore d’un séquoia. Les cernes sont étroits (0,3 à 0,6 mm), sans faux cernes et comportent un bois final très développé (20 à 30 couches de fibres trachéides)18.

À Montlignon, en 1963, un ensemble de fragments de bois fossiles fut mis au jour dans une carrière de sables de Fontainebleau de l’Oligocène moyen (g2b-27 Ma) recouverts de lœss quaternaire. Ces fragments de bois fossile se trouvaient dans le lœss à une profondeur de 2 m sous le sol forestier actuel. Cette carrière, actuellement remblayée, était située au sud-ouest du lieu-dit « La Prieuré » le long de la N 309, au nord de la « route du Faîte » et à l’est de la « route des Fossés d’Alleu ». L’identification indique des fragments de cyprès chauve ou séquoia. Les Taxodiacés semblent avoir disparu de France au cours de la période froide du Würm III, ayant succédé à une oscillation chaude datée de 17 000 ans BP19.

Des tourbes prélevées à la base d’un forage à Enghien-les-Bains (Ly-112) ont donné une datation radiocarbone de : 11 240 +/- 330 ans B.P. soit à l’ère Quaternaire, à l’époque de l’Holocène, et au Postglaciaire, légèrement postérieur aux sédiments continentaux du Würmien20.


Gérard Ducoeur

Mars 2009

Bibliographie

Baduel (D.), Briqueteries et tuileries disparues du Val d’Oise, Saint-Martin-du-Tertre, S. I., 2002, 302 p.

Canet (M.-M.), Lhomel (I.), L’or blanc : du gypse au plâtre, Cergy-Pontoise, CGVO, ARPE, 2000, 14 p.

Canet (M.-M.), Quatre générations de plâtriers dans le N.O. parisien. Ruptures et continuités à la plâtrière Vieujot, in Barthe (G.) et GRPA, Le plâtre, l’art et la matière, Paris, CREAPHIS, p. 47- 57.

Collectif, Géologie, patrimoine géologique du Val d’Oise, Cergy-Pontoise, CGVO, IGAL, 2007, 36 p.

Ducoeur (D. et G.), et al. Histoire géologique du Parisis, in Ermont au fil du temps, Valhermeil, 1994.

Ducoeur (G.), La forêt de la préhistoire à l’antiquité, in Guide de la forêt de Montmorency, AFOMI, 1975, p. 7- 18.

Guadagnin (R.), Géologie et richesses naturelles, in Fosses-Vallée de l’Ysieux, mille ans de production céramique en Ile de France, vol. 1, Les données archéologiques et historiques, CRAM, Caen, 2000, p. 42- 46.

Koeniguer (J.-C.), Les bois fossiles du Bassin de Paris, in Bull. JPGF, n° 4- 5, 1978.

Lebret (P.), Halbout (H.), Le Quaternaire en Val d’Oise, Centre de géomorphologie de Caen, Bulletin n° 39- 40, mars 1991, CNRS, CGVO, SDAVO, Caen, 1991, 294p.

Pommerol (Ch.), Feugueur (L.), Bassin de Paris : Ile-de-France, in Guides géologiques régionaux, Paris, Masson, 1968, 174 p. et 16 pl. de fossiles.

Soulier (P.), Halbout (H.), Lebret (P.), et al. 120 000 ans de paysages en Val d’Oise, SDAVO, CGVO, 1991, 64 p.

Soyer (R.), Carte géologique au 1/50 000e, feuille de l’Isle-Adam, XXIII-13, BRGM, 2e Ed., 1967.


Abréviations

Ma : million d’années

(Gif- 1840) et (Ly- 112) : sigles des laboratoires de datation radiocarbone (ici Gif-sur-Yvette et Lyon) qui ont effectué ces datations avec leur numéro d’ordre.

BP : « before period » datation radiocarbone à partir de la date de référence de 1950.

Würm : [du nom d’un affluent du Danube] Quatrième et dernière glaciation du Quaternaire, dans les régions alpines. De 80 000 à 12 000 ans avant l’actuel.


ARPE : Atelier de Restitution du Patrimoine Ethnographique

CGVO : Conseil Général du Val d’Oise

GRPA : Groupe de Recherche sur le Plâtre dans l’Art

IGAL : Institut Géologique Albert F. de Lapparent / Institut Polytechnique Lasalle-Beauvais

JPGF : Association Jeunesse préhistorique et géologique de France, section d’Ermont

SDAVO : Service Départemental d’Archéologie du Val d’Oise

Publié sur le site de Valmorency (Association pour la promotion de l’histoire et du patrimoine de la Vallée de Montmorency) : www.valmorency.fr

Tous droits d’auteur réservés. Reproduction soumise à autorisation avec citation de la source (contact : collet.hym@wanadoo.fr)


1 Pommerol (Ch.), Feugueur (L.), Bassin de Paris : Ile-de-France, pays de Bray, in Guides géologiques régionaux, Paris, Masson, 1974, p. 21- 34.

.. Soyer (R.), Carte géologique au 1/50 000e, feuille de l’Isle-Adam, XXIII-13, BRGM, 2e Ed., 1967.

2 Collectif, Géologie, patrimoine géologique du Val d’Oise, Cergy-Pontoise, CGVO, IGAL, 2007, 36 p.

.. Canet (M.-M.), Lhomel (I.), L’or blanc : du gypse au plâtre, Cergy-Pontoise, CGVO, ARPE, 2000, 14 p.

3 Conférer l’article séparé : « Les carrières à plâtre, briqueteries et tuiliers en vallée de Montmorency ».

4 Ducoeur (G.), La forêt de la préhistoire à l’antiquité, in Guide de la forêt de Montmorency, AFOMI, 1975, p. 7- 18.

5 Cette ère du Quaternaire a fourni, entre autre, des bois fossiles de cyprès-chauve ou séquoia à Montlignon et à Montmorency ainsi que des tourbes à Enghien-les-Bains : voir encadré.

6Lebret (P.), Halbout (H.), Le Quaternaire en Val d’Oise, Centre de géomorphologie de Caen, Bulletin n° 39-40, mars 1991, CNRS, CGVO, SDAVO, Caen, 1991, p. 25- 129.

...Soulier (P.), Halbout (H.), Lebret (P.), et al. 120 000 ans de paysages en Val d’Oise, SDAVO, CGVO, 1991, p. 35- 49.

7 ADVO : 25 Fi 85. Plan non daté.

8 Baduel (D.), Briqueteries et tuileries disparues du Val d’Oise, St-Martin-du-Tertre, S.I., 2002, 302 p.

9 Conférer l’article séparé « Vignes et vignerons en vallée de Montmorency ».

10 Conférer l’article séparé : « Les pépiniéristes en vallée de Montmorency ».

11 Pour l’hydrologie, conférer l’article séparé : « Les points d’eau dans la vallée de Montmorency à travers l’histoire ».

12 Conférer l’article séparé : « La préhistoire en vallée de Montmorency ».

13 Conférer l’article séparé : « La protohistoire en vallée de Montmorency, l’oppidum gaulois du Camp de César ».

14 Conférer l’article séparé : « La chaussée Jules César et le vicus d’Ermont, sites gallo-romains de Taverny ».

15 Conférer l’article séparé : « La nécropole mérovingienne et l’église carolingienne d’Ermont ».

16 Conférer l’article séparé : « Le rôle social et économique des institutions religieuses dans la châtellenie de Montmorency ».

17 Ducoeur (D. et G.), et al. Histoire géologique du Parisis, in Ermont au fil du temps, Valhermeil, 1994, p. 9- 14.

18 Koeniguer (J.-C.), Les bois fossiles du Bassin de Paris, in Bull. JPGF, n° 4- 5, 1978, p. 4- 7.

19 Koeniguer (J.-C.), op.cit. Une essence de séquoia a en effet été déterminée parmi les charbons de bois de cette époque mis au jour dans la grotte de Lascaux (Cl. Jacquiot, 1959).

20 Lumley (H.) (sous la dir.) La préhistoire française, CNRS, 1976, vol. I.2, p. 1500, citant la revue de référence où sont publiées toutes les datations : Radiocarbon, Enghien, (95), vol. 15, p. 137.