VALENTINE REYRE (1889-1943), LA PASSION DU SACRÉ
À ERMONT, MONTMAGNY, SANNOIS
Valentine Reyre, née à Paris, dans le XVIe arrondissement, le 25 mai 1889, manifeste très jeune de grandes dispositions pour le dessin et la peinture. Élevée par un père très cultivé et artiste, elle visite avec lui les musées de Belgique, de Hollande et d’Allemagne et fréquenta assidûment les chefs-d’œuvre du Louvre où elle passe de longues heures à copier les maîtres. En même temps, à la campagne, où habitent alors ses parents, elle travaille beaucoup d’après nature, recevant quelques conseils du peintre Gustave Colin, ami de son père. Toutes les techniques l’intéressent et elle a déjà fait des essais de lithographie et d’eau-forte, en dehors de la peinture et de l’aquarelle, lorsqu’elle revient à Paris, à l’âge de vingt ans, pour travailler dans les ateliers. Attirée un moment par la sculpture, elle suit les leçons de Bourdelle. Quoique n’ayant pas persévéré, elle laisse quelques œuvres de jeunesse, terres cuites pour la plupart, pleines de vie et de charme. Plus tard, elle modèle un très beau Christ qui est coulé en bronze. Elle est, à l’atelier de peinture de la Grande Chaumière, élève de Lucien Simon et de Georges Desvallières. Elle y reste peu de temps : son individualité déjà marquée lui permet d’affirmer très vite un talent personnel.
Pendant la guerre de 1914-1918, elle continue à travailler sans relâche et brosse à ce moment d’assez nombreux portraits, très dépouillés, cherchant avant tout à centrer l’intérêt sur le visage où éclate la personnalité du modèle, sans laisser l’attention s’égarer sur les accessoires. Il faut aussi placer à cette époque le début d’une série d’estampes et d’images religieuses, d’illustrations de livres en gravure sur bois ou sur zinc. Fidèle à son principe que l’on ne peut faire bien une œuvre que si l’on en connaît la technique, elle apprit celle de la gravure sur bois et en exécuta elle-même quelques-unes. À la fin de la guerre, alors que tant d’églises dévastées ont besoin d’être reconstruites, elle crée, en 1917, avec plusieurs camarades, animés de la même foi et des mêmes principes d’art, un groupement de travail, l’Arche1, qui cherche à rejoindre, en utilisant les techniques modernes et sans aucune idée de pastiche, l’esprit des artistes du Moyen Âge, travaillant en équipe sous la direction du « maître d’œuvre », l’architecte. Elle participe également aux Ateliers d’Art Sacré, en 1919, avec Maurice Denis et Georges Desvallières2.
C’est à ce moment que commence la période la plus féconde de sa carrière, qui ne sera interrompue que par la guerre de 1940, où elle abandonnera volontairement tout travail artistique pour se livrer à des devoirs plus pressants d’entraide sociale, d’éducation et de formation de la jeunesse et d’activité municipale3. Toutes ces activités, interrompues brusquement par la mort, elle les exercera à Ermont, dans le quartier de Cernay, où elle est installée avec sa famille depuis 1924.
C’est là, dans une simple remise transformée en atelier, qu’elle conçoit, pour la plupart, des grandes compositions, cartons de fresques et de vitraux, qu’elle va exécuter elle-même sur place et dans les ateliers de verriers de deux de ses amis. La technique de la fresque, qui demande de la part de l’artiste beaucoup de maîtrise, l’a enthousiasmée, et elle abandonne presque complètement la peinture à l’huile et le tableau de chevalet pour y consacrer le meilleur de son talent, parvenu alors à sa pleine maturité.
Il serait trop long d’énumérer toutes les productions de ses vingt dernières années. Beaucoup d’églises et de chapelles dans le nord de la France et en Belgique, à Paris, en Corse, gardent l’empreinte vivante de son talent. Dans notre région même trois églises sont embellies de ses œuvres. Tout d’abord à Montmagny, l’église Sainte-Thérèse de l’Enfant Jésus, construite par les frères Perret, reçoit derrière l’autel, une grande décoration à fresque en 1926. Elle complète cette décoration par un chemin de croix, peint à fresque aussi, et exécuté à la veille de la guerre. Au Cygne d’Enghien, à l’église des Missions d’Épinay-sur-Seine, l’un des trois vitraux qui forment le chevet de l’église est son œuvre : Saint-Joseph et les missions en Afrique4. L’une des grandes peintures sur toile, marouflées au mur, l’Évangélisation de la Grande-Bretagne, est conçue et exécutée par elle dans son atelier d’Ermont, en 1931.
L’église Saint-Pierre et Saint-Paul de Sannois, toute proche d’Ermont, possède dans sa partie neuve des vitraux créés par Valentine Reyre, pour le baptistère de l’église, cinq fenêtres dans des tons pastel : la Sainte Trinité (au centre) où se remarque surtout la beauté de la colombe du Saint-Esprit, des anges gardiens qui protègent les jeunes enfants (de part et d’autre), sur les côtés, les textes des prières rituelles pour les parrains ou marraines un peu trop émus, le Notre Père (au sud-ouest), et le Credo (au sud-est). Aux fenêtres basses de la nef, deux vitraux rappellent le souvenir de la guerre de 1914-1918, qui avait profondément marqué Valentine Reyre : le vitrail de Saint-Albert baigné d’une lumière d’un rouge brun évoque le massacre de Saint-Albert de Liège (2e travée sud), et en même temps, de façon symbolique le roi-soldat, Albert Ier qui combattait en personne les troupes allemandes. Tout à côté, le vitrail de Sainte-Anne (3e travée sud), nous fait penser à l’épouse du roi, la reine Élisabeth, membre de l’ordre charitable de Sainte Anne qui soignait avec dévouement les soldats blessés. Trois saints missionnaires sont représentés : Saint-Antoine de Padoue, qui a prêché en Afrique du Nord, Saint-François-Xavier, aux Indes, Saint-François d’Assise, en Égypte (2e travée nord), ainsi qu’une petite rosace représentant Sainte-Catherine de Sienne, (3e travée nord) qui protège un martyr. La grande rosace du fond de l’église, au-dessus de la tribune, (à l’est) s’inscrit dans un cadre sannoisien Sainte-Thérèse de l’Enfant-Jésus, apparaît en effet près du clocher de l’église et du moulin5. Valentine Reyre dessine ces cartons pour l’église Saint-Pierre et Saint-Paul de Sannois en 1937.
Enfin à Ermont, un vitrail datant d’après 1924, offert par la famille dans les années 1960, après le décès de l’artiste, pour l’aumônerie paroissiale du lycée Van Gogh à Cernay6.
Valentine Reyre, disparue prématurément le 22 février 1943, a été à la fois une très haute personnalité et une grande artiste. Elle a consacré tout son talent au service d’une foi vivante et profonde. Douée d’une imagination remarquablement féconde, elle l’a soumise au contrôle constant de la raison et a mis à son service une puissance de travail exceptionnelle. L’on ne sait ce qu’il faut le plus admirer, de la pureté de son dessin, de la richesse de ses coloris ou de l’équilibre de ses compositions. Son talent était, comme son caractère, bâti tout en équilibre et en force7.
L’ARCHE ET LES ATELIERS D’ART SACRÉ
En 1900, le renouvellement des arts plastiques si prodigieux dans les dernières années du XIXe siècle profite bien peu à l’Église. L’impressionnisme n’y a laissé aucune œuvre. Maurice Denis et les Nabis, Bonnard, Vuillard, les Fauves sont ignorés. Rouault, solitaire et maudit n’aura de reconnaissance que tardivement. Même les peintres académiques sont médiocrement reconnus. Puvis de Chavannes s’est vu refuser la décoration du Sacré-Cœur et Desvallières, qui multiplie les œuvres religieuses significatives, ne reçoit pas de commandes.
Dans les églises, les fanfreluches, les broderies, les lithographies s’accumulent. Le kitsch et le laid sont élevés en absolu. La réaction à l’agonie de la création artistique dans l’Église sera violente.
Ce risorgimento est l’oeuvre de la Société de Saint-Jean qui regroupe des artistes, des esthètes, des ecclésiastiques dans le sillage de Maurice Denis, Georges Desvallières, Henri Cochin, Huysman et Dom Bellot. Dorénavant, l’œuvre chrétienne veut l’artiste libre en tant qu’artiste. On assiste au retour de la couleur, du plaisir de peindre, de la vie sous tous ses aspects. On retrouve, sous les traits des saints, la famille, les amis, les proches.
En 1917, Valentine Reyre et Maurice Storez créent l’Arche. Ils sont rejoints par Sabine Desvallières, Dom Bellot et Henri Charlier. Le credo des fondateurs de l’Arche eut un grand retentissement.
Entre autres règles :
- Ils renoncent aux pastiches sans interdire l’utilisation de solutions anciennes jugées bonnes.
- Ils proscrivent énergiquement toute imitation d’un matériau par un autre, ce qui, selon eux, est un « mensonge artistique ».
- Ils s’appuient sur les doctrines esthétiques des leçons des maîtres de la philosophie scolastique, qui ont donné à la raison sa véritable place.
- Ils conseillent à l’artiste d’employer des formes compréhensibles, claires et simples.
Contrairement à l’Arche qui se veut un mouvement, les Ateliers d’Art Sacré ont un but pédagogique. Fondés par Maurice Denis et Georges Desvallières en 1919, leur dessein est d’être un centre de la vie catholique. Leur programme cite Michel-Ange :
« Il est nécessaire à l’artiste de mener une vie très chrétienne ou même sainte pour que le Saint-Esprit l’inspire ».
Les cours obligatoires des ateliers sont : le dogme, la philosophie, la théologie de saint Thomas la liturgie, les messes corporatives, les conférences et prédications.
Le néophyte est d’abord « apprenti », puis « compagnon et collaborateur rétribué ». Après les cours préparatoires, les élèves choisissent leur atelier : peinture et vitrail, sculpture, broderie et chasublerie, gravure, imagerie. L’église leur fournit de nombreuses commandes. En 1926, Maurice Denis est remplacé par Henri de Maistre.
D’autres courants voient le jour : les Artisans de l’autel, la Rosace, l’Atelier de Nazareth. Dès 1930, des critiques très vives commencent à poindre à l’encontre des « spécialistes de l’art religieux », à qui on reproche un style sec et compassé, une monotonie et un désengagement vis-à-vis de l’art moderne. Ce courant d’opinion se concrétise par la réalisation de la chapelle-manifeste du plateau d’Assy de Novarina, où vont s’illustrer les grands absents du courant officiel : Léger, Matisse, Chagall, Lurçat, Rouault.
Les différents ateliers, corporations d’artistes chrétiens vont disparaître. Seuls survivront, sans grand éclat les Ateliers d’Art Sacré, jusqu’en 19478.
Gérard Ducoeur,
juillet 2009.
Bibliographie
Bœuf (D.) et Ménassade (M.), Les collections particulières dans le canton de Taverny, École Française, in L’art ancien et moderne dans le canton de Taverny, Imp. Paris, Pontoise, 1945, 170 p.
Bréon (E.), La peinture encadrée, in L’Art Sacré au XXe siècle en France, Ed. de l’Albaron, 1993, 312 p.
Collectif, L’Art Sacré au XXe siècle en France, Catalogue d’exposition, Centre culturel et Musée municipal de Boulogne-Billancourt, Ed. de l’Albaron, 1993, 312 p.
Ducoeur (D. et G.), Ermont in Le patrimoine des communes du Val d’Oise, Flohic, 1999.
Le Coat (M.-E.), À Ermont, Montmagny, Sannois. Valentine Reyre, la passion du sacré, in Vivre en Val d’Oise, n°48, février-mars 1998, p. 42-49.
Taillefert (G. et H.), Les Sociétés d’Artistes et la fondation de l’art catholique, in L’Art Sacré au XXe siècle en France, éd. de l’Albaron, 1993, 312 p.
Vaquier (A.), La vie démographique, Familles et Personnages, in Ermont de la Révolution à nos jours, t. 3, SHAPVOV, Pontoise, 1970.
Publié sur le site de Valmorency (Association pour la promotion de l’histoire et du patrimoine de la Vallée de Montmorency) : www.valmorency.fr
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1 Taillefert (G. et H.), Les Sociétés d’Artistes et la fondation de l’art catholique, in L’Art Sacré au XXe siècle en France, Ed. de l’Albaron, 1993, p. 15-25.
2 Bréon (E.), La peinture encadrée, in L’Art Sacré au XXe siècle en France, Ed. de l’Albaron, 1993, p. 26-43.
3 Vaquier (A.), La vie démographique, Familles et Personnages, in Ermont de la Révolution à nos jours, t. 3, SHAPVOV, Pontoise, 1970, p.152.
4 Le Coat (M.-E.), À Ermont, Montmagny, Sannois. Valentine Reyre, la passion du sacré, in Vivre en Val d’Oise, n°48, fév.-mars 1998, p. 42-49.
5 Texte sur les vitraux de l’église de Sannois, créés par Valentine Reyre, rédigé par Mme Denise Bobard-Paulard, présidente de l’association « Sannois d’hier et d’aujourd’hui », que nous tenons à remercier ici pour son active contribution.
6 Ducoeur (D. et G.), Ermont in Le patrimoine des communes du Val d’Oise, Flohic, 1999, p. 273.
7 Bœuf (D.) et Ménassade (M.), Les collections particulières dans le canton de Taverny, École Française, in L’art ancien et moderne dans le canton de Taverny, Imp. Paris, Pontoise, 1945, 170 p., en particulier p. 54-57.
8 Taillefert (G. et H.), L’Arche et les Ateliers d’Art Sacré. Les Sociétés d’Artistes et la fondation de l’art catholique, in L’Art Sacré au XXe siècle en France, éd. de l’Albaron, 1993, 312 p., p. 15-25.