LE PREMIER SURVOL EN BALLON DE LA VALLEE DE MONTMORENCY
1er décembre 1783


Environs de Paris en 1768 (source BNF)


En cette année 1783, le Roi Louis XVI avait vingt neuf ans. Il était heureux d’être né dans ce siècle de progrès et se passionnait pour les sciences nouvelles.
On a souvent dit qu’il était plus doué pour la serrurerie que pour la conduite du Royaume. C’est sans doute exagéré. Il est cependant vrai qu’il avait réalisé dans sa jeunesse des travaux de serrurerie et d’horlogerie somme toute assez réussis. L’apprentissage d’un métier manuel faisant partie de l’éducation des Dauphins de France, il n’y avait pas à lui en tenir rigueur. Louis XIV, avant lui, avait appris la menuiserie, comme Jésus en des temps plus lointains. Nul n’a jamais songé à en faire grief au Roi Soleil. Ni à Jésus.
La Reine Marie-Antoinette avait vingt huit ans et ce qui se passait cette année-là ne manquait pas de l’intriguer et d’attirer son attention.

Depuis dix jours, on savait que des hommes avaient voyagé dans le ciel à bord d’un ballon de 20 mètres de haut et 16 mètres de diamètre, gonflé avec de l’air chaud qui était, disait-on, deux fois plus léger que celui qu’on respire. Les gazettes du monde entier s’en étaient fait l’écho. Le vol avait eu lieu à Paris, le 21 novembre précédent. Le ballon fait de toile et de papier inventé par les frères Joseph et Etienne de Montgolfier était parti des jardins du château de la Muette à une heure cinquante quatre de l’après-midi en présence du Dauphin et de sa suite, et s’était posé sur la Butte aux Cailles (place d’Italie actuelle) trente cinq minutes plus tard. Dans la coursive circulaire en osier recouverte de toile bleu qui entourait la base du ballon, il y avait les premiers voyageurs du ciel : François Pilâtre de Rozier, un apothicaire de vingt neuf ans et le marquis d’Arlandes, un officier de quarante et un ans.


Expérience du 27 août 1783 au Champ de Mars.

Pilâtre de Rozier s’était lié d’amitié avec Etienne de Montgolfier à la loge maçonnique des Neuf sœurs, rue Dauphine où l’on rencontrait aussi Franklin, Monge, Buffon, Fragonard et le docteur Guillotin. Il fut le premier des pilotes d’essai en faisant plusieurs ascensions avant le vol historique, retenu par un câble, seul d’abord, puis accompagné.
Tout n’avait pas été simple. Le 5 juin, à Annonay, où était installée leur fabrique de papier, les frères Montgolfier avaient fait voler un premier ballon inhabité. Le bruit s’en était répandu et on les avait fait venir dans la capitale pour montrer leur invention.
À Paris, le professeur Charles, déjà très connu, à trente cinq ans, pour ses travaux sur l’hydrodynamique et sur la dilatation des gaz, se demandait pourquoi les Montgolfier n’avaient pas utilisé un gaz comme l’hydrogène, quatorze fois plus léger que l‘air, qui aurait nécessité un ballon moins volumineux. En fait, leur enveloppe n’était pas étanche et le gaz s’en échappait. Ce n’était pas grave sur la montgolfière puisque l’air chaud était renouvelé en permanence grâce au foyer situé à sa base, qu’il suffisait d’approvisionner en combustible.
Les Montgolfier étaient inquiets. Le foyer ne risquait-il pas d’incendier le ballon ? Les flammèches qui s’en échappaient ne risquaient-elles pas de mettre le feu aux granges qu’il survolerait ? Le Roi, de son coté, s’opposait à ce qu’on fasse voler des hommes avant d’être sûr qu’ils survivraient à cette épreuve et conseillait d’en faire l’essai avec des condamnés à mort !
Pilâtre de Rozier était indigné. Pour fléchir le Roi, il fit intervenir la duchesse de Polignac, gouvernante des enfants de France et le marquis d’Arlandes, qui avait fait un essai avec lui et proposait d’être du voyage.
Il fut cependant convenu d’une expérience préalable. Elle eut lieu le 21 novembre à Versailles. Le ballon emportait un poulet, un canard et un mouton. Quelques instants plus tard, en les récupérant, on eut la certitude qu’il était possible de vivre dans les airs. Puis selon les vœux du Roi qui voulait des condamnés à mort, on dirigea sans plus attendre les animaux vers les cuisines et on les mangea le soir même.
Il s’est dit que la Reine, attentive à l’expérience, avait tenu à ce que ces premiers passagers aériens proviennent de sa ferme de Trianon.



Expérience du 19 septembre 1783, à Versailles.


Ballon du marquis d'Arlaudes.

Le 1er décembre, des milliers de personnes se pressaient dans le jardin des Tuileries, sur la place Louis XV, sur le Pont Royal et dans les rues d’alentour pour voir le ballon de soie de 9 mètres de diamètre construit par M. Robert. Il était peint de bandes verticales jaunes et rouges et le professeur Charles avait fait enduire l’enveloppe de latex dilué avec de l’essence de térébenthine pour la rendre imperméable.
Jacques Charles avait sur ce ballon inventé bien d’autres choses encore. En fait, il avait créé l’aérostation. Au sommet, une soupape permettait de régler l’évacuation de l’hydrogène et de contrôler la descente de l’aérostat. À la base, un appendice permettait le remplissage et laissait échapper les trop-pleins de gaz en cas de dilatation. La nacelle, munie de sièges, était soutenue par un filet qui en répartissait le poids sur l’ensemble du ballon. Il y avait à son bord du lest, pour modérer la chute et régler l’ascension, un thermomètre et un baromètre qui permettait de contrôler de façon permanente la pression du mercure et d’en déduire l’altitude du vol (selon le principe de l’altimètre défini par M. Laplace).

Le départ fut précédé par l’envoi d’un ballonnet vert de cinq pieds huit pouces (un mètre trente de diamètre) pour s’assurer de la direction des vents et Charles en confia symboliquement le lâcher à M. de Montgolfier « qui avait eu le bonheur de tracer la route ». Le temps menaçant d’être orageux, les aéronautes avaient hâte de partir. L’envol eut lieu au milieu du silence créé par l’émotion et la surprise. Le ballon s’éleva rapidement et dès que les deux hommes agitèrent drapeaux et banderoles, les acclamations montèrent de la foule. Il était une heure trois quart de l’après-midi.

Des amis bienveillants avaient empli la nacelle de vins de champagne, de fourrures et de couvertures. Charles a raconté qu’il s’était délesté de couvertures inutiles, mais il n’a pas parlé des vins de champagne. Il a dit aussi que le ballon s’était stabilisé à trois cent toises (environ six cent mètres), comme il l’avait calculé, et que pendant le vol, il a lâché du lest chaque fois que c’était nécessaire pour se maintenir à cette altitude.
À hauteur de Montceaux, le ballon resta un instant stationnaire, puis il reprit sa route, suivi au sol par une centaine de cavaliers.
La Seine fut franchie une première fois entre Saint-Ouen et Asnières puis une nouvelle fois à Gennevilliers, à la droite d’Argenteuil. Le ballon survola ensuite Sannois et Franconville. Là, le vent le fit obliquer dans la vallée en direction de Montmorency. À deux heures et demie, il était à la verticale d’Eaubonne. Au sol, les cavaliers étaient beaucoup moins nombreux. Les bêtes avaient déjà plus de quatre lieues dans les jambes et il fallait les ménager pour le retour. Plusieurs chevaux furent menés à l’abreuvoir. Il est bien possible aussi que quelques suiveurs soient allés se réchauffer dans une auberge. On était le 1er décembre, le soleil était présent, mais la température ne dépassait pas sept degrés.
Arrivé au-dessus de Montlignon, le ballon à nouveau changea de route et longea les collines boisées en survolant Saint-Leu et Taverny avant de reprendre sa direction initiale en passant au-dessus de Villiers, de l’Abbaye du Val et de l’Isle-Adam. Enfin, après avoir franchi l’Oise, et survolé Nesles-la-Vallée, il descendit et se posa.
Le trajet depuis Paris était de neuf lieues (quarante kilomètres) et les aéronautes l’avaient parcouru en deux heures.
« Durant tout ce délicieux voyage, a déclaré Charles, il ne nous est pas venu en pensée d’avoir la plus légère inquiétude sur notre sort et sur celui de notre machine ». Et d’ajouter : « Nous n’avons pas cessé de converser avec les habitants que nous voyions accourir vers nous de toutes parts ; nous entendions leurs cris d’allégresse… Nous criions Vive le Roi et toutes les campagnes répondaient à nos cris… nous les entendions très distinctement… Nous agitions sans cesse nos pavillons et nous nous apercevions que ces signaux redoublaient l’allégresse… Plusieurs fois, nous descendîmes assez bas pour mieux nous faire entendre : on nous demandait d’où nous étions partis, et à quelle heure, et nous montions plus haut en leur disant adieu… Au-dessus de l‘Isle-Adam… nous demandâmes des nouvelles de monseigneur le prince de Conti. On nous cria avec un porte-voix qu‘il était à Paris et qu‘il en serait bien fâché. Nous regrettions de perdre une si belle occasion… nous serions en effet descendus au milieu de ses jardins… Nous remontâmes et arrivâmes enfin près des plaines de Nesles. Il était trois heures et demi passées et j’avais le dessein de faire un second voyage… ».
Des groupes de paysans se précipitaient vers eux à travers les champs. Le ballon descendit et après avoir franchi quelques arbres et parcouru plus de vingt toises (une cinquantaine de mètres) à un ou deux pieds (cinquante centimètres) du sol, il se posa au milieu d’une vaste prairie. Les gens accouraient de toute part et Charles manda curé et notables pour viser le procès-verbal qu’il était en train de rédiger. Quelques cavaliers arrivèrent au grand galop et parmi eux, monseigneur le duc de Chartres (futur Louis-Philippe), M. le duc de Fitz-James et M. Farrer, un gentleman anglais. Ces trois-là était tout ce qui restait de la centaine de cavaliers qui suivait le ballon depuis Paris. Les autres avaient crevé leurs chevaux ou avaient renoncé. Les trois hommes apposèrent leur signature sur l’acte officiel.
Comme annoncé, Charles repartit, seul. « En dix minutes, raconta-t-il, je passai de la température du printemps à celle de l’hiver ». Lorsque le baromètre cessa de monter, Charles calcula qu’il était à une altitude de mille cinq cent vingt quatre toises (près de trois mille mètre). « Le froid était vif et sec, mais point insupportable… Il me saisit les doigts, je ne pouvais presque plus tenir ma plume… À mon départ de la prairie, ajouta-t-il, le soleil était couché pour les habitants. Bientôt, il se leva pour moi seul ». Et ce soir-là, Charles vit le soleil se coucher une deuxième fois. Ce second vol dura trente cinq minutes et le ballon se posa entre Ronquerolles et Hédouville, à une lieue de son point de départ.
Au cours de la descente, il éprouva cette douleur dans l’oreille et dans les maxillaires que l’on rencontre parfois en avion lors d’une descente rapide.
Au soir de ce jour, Charles avait battu les premiers records du monde aériens de durée, de distance et d’altitude et d’effectuer le premier voyage aérien seul à bord. Son deuxième vol fut aussi le dernier. Il ne remonta jamais en ballon et vécut, célèbre; jusqu’à l’âge de 75 ans. Il épousa entre temps une jeune et jolie femme qui sera l’égérie de Lamartine.
Depuis ce bel après-midi d’automne, la Vallée de Montmorency a connu bien d’autres survols, mais celui de Charles et Robert, c’était le premier.

Jean Veillon, vice président du Cercle Historique et
Archéologique d’Eaubonne et de la Vallée de Montmorency,
Juin 2009.

Publié sur le site de Valmorency (Association pour la promotion de l’histoire et du patrimoine de la Vallée de Montmorency) : www.valmorency.fr
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