Le mardi
26 février 2013
à la salle du Grand Séminaire de Montmagny
en partenariat avec la Mairie de Montmagny
« Deux pionniers valmorencéens au Québec :
Charles Huault, châtelain de Montmagny
et François-Marie Perrot, châtelain à Eaubonne »
Notice introductive
Champlain et les débuts de la Nouvelle-France
Les expéditions de Jacques Cartier (1534, 1535, 1541) et de Jean-François de la Roque de Roberval (1542) sont suivis d'une brève tentative d'établissement, les premiers colons ayant été rapidement décimés par les maladies et les rigueurs de l'hiver.
Samuel de Champlain (1567-1635) naît en France, d'un père marin. Lorsqu'il accomplit son premier voyage vers le Nouveau Monde, en 1598, il propose à Henri IV de percer l'isthme de Panama. Après un bref retour en France, il se rend en Amérique du nord en tant que géographe de l'expédition d'Aymar de Chaste. Lors du voyage, il a l'occasion d'explorer le fleuve Saint-Laurent puis remonte jusqu'à Montréal. L'année suivante, en 1604, il accompagne l'expédition de Pierre de Gua de Monts et explore la côte acadienne. Il retourne sur les terres américaines en 1608 et installe une colonie européenne au Canada. C'est ainsi qu'est fondée, le 3 juillet, la ville de Québec. Champlain s'applique alors à entretenir de bonnes relations avec les habitants autochtones. Poursuivant ses explorations, il découvre un lac auquel il donnera son nom. Il s'attelle toujours à améliorer la colonie qu'il a mise en place et en est finalement nommé gouverneur dès 1619.
En 1627, Richelieu, décidant de s'occuper personnellement de la Nouvelle-France, crée la Compagnie des Cent-Associés, à laquelle il affecte une grande partie de l'Amérique du Nord. Il lui accorde le monopole du commerce, contre l'obligation de développer et d'entretenir la colonie fondée par Champlain. Ce dernier devient donc le représentant direct de Richelieu. En 1628, la colonie étant aux prises avec la famine, une expédition mise sur pied par les Cent-Associés se dirige vers Québec. Elle comprend quatre navires, chargés de matériel, de vivres et – enfin ! – de quatre cents colons.
D'autres navires sillonnent le fleuve, commandés par les frères Kirke, venus d'Angleterre. La fière réponse de Champlain à une première sommation fait reculer l'envahisseur, qui se retranche à Tadoussac, d'où il réussit à intercepter la flotte des Cent-Associés. En 1629, Champlain et ses gens presque morts de faim capitulent, et la plupart sont rapatriés. Québec ne va être restituée à la France qu'en 1632, par le traité de Saint-Germain-en-Laye, signé le 29 mars, qui donne également à la France une compensation pour les marchandises saisies pendant la prise de la Nouvelle-France. Champlain retourne dans la colonie en 1633. L'année suivante, il a la consolation d'y accueillir plusieurs familles, qui vont faire souche.
Le fondateur a maintenant près de soixante-cinq ans. À l'automne de 1635, sa santé décline. Il meurt le 25 décembre. À sa mort, la colonie ne compte encore que 150 personnes. Elle n'en est pas moins à l'origine d'un peuple qui compte plus de 7 millions d’habitants aujourd’hui.
En 1645, la Compagnie des Cent-Associés cède son monopole de traite à la Communauté des Habitants. Les premières années sont prospères. Toutefois, les tensions internes, la lourdeur des charges économiques, les conditions d’emprunt désavantageuses et les guerres iroquoises ruinent les efforts de la Communauté.
En 1663, Louis XIV fait de la Nouvelle-France une province royale. Il dissout la Compagnie des Cent-Associés, ce qui entraîne la disparition l’année suivante de la Communauté des Habitants. Il concède la Nouvelle-France à la Compagnie des Indes occidentales, qui finira elle aussi par disparaître, laissant la responsabilité de la colonie au seul roi assisté de l’administration coloniale.
Le portrait falsifié de Champlain a quelque chose à voir avec un autre châtelain valmorencéen : Michel Particelli d’Hémery !
On ne conserve aucun portrait de Samuel de Champlain fait de son vivant. La lithographie ci-dessous de l'explorateur a été fabriquée vers 1852-1854 à partir du portrait d'un contemporain de Champlain, Michel Particelli d'Emery - surintendant des finances de Louis XIII - gravé par Balthasar Montcornet à Paris en 1654. Or, ce collaborateur de Mazarin, a été … propriétaire des châteaux de la Chevrette et de la Barre, à Deuil, en Vallée de Montmorency. L’Histoire présente parfois de curieuses coïncidences ! Les faussaires apposèrent au bas du portrait contrefait le nom de ce graveur sous la forme altérée de « Ducornet ». On l'attribua très vite à l'artiste peintre Louis-César-Joseph Ducornet, né handicapé et peignant grâce à sa bouche et son seul pied. Ce pseudo-portrait de Champlain donna lieu à plusieurs variantes.
Portrait officiel de Particelli d’Hémery Pseudo-portrait de Champlain
Les Iroquois
Les Iroquois (ou Haudenosaunee) connus aussi par l'expression Cinq-Nations comprennent cinq et puis plus tard six nations amérindiennes de langues iroquoises vivant historiquement dans le nord de l'État de New York aux États-Unis au sud du lac Ontario et du fleuve Saint-Laurent.
L'origine du mot iroquois est obscure, mais cette appellation pourrait provenir d'une phrase souvent employée à la fin de discours iroquois, « hiro kone » (je l'ai dit).
Les Iroquois sont un peuple agriculteur et semi-sédentaire. Ils cultivent le blé, le tournesol et les trois sœurs : le maïs, le haricot et la courge. Ils complètent leur alimentation par la pêche, au printemps, et la chasse. Les hommes partent à l'automne et reviennent en hiver.
Les Iroquois sont aussi d'habiles artisans. Ils portent des vêtements en peau d'animal cousue avec les épines du porc-épic et décorée de coquillages et de motifs divers. Ils utilisent des mocassins.
L'organisation sociale est matriarcale, matrilinéaire et matrilocale : c'est la mère qui détermine le lignage, et les femmes possèdent la terre. Après son mariage, l'homme emménage chez son épouse, et ses enfants deviennent membres du clan de la mère. Les femmes choisissent également les chefs de clan.
Un père jésuite français qui rencontre les Iroquois en 1650 décrit la société iroquoise comme égalitaire. La Confédération Iroquoise s’étend des monts Adirondacks aux Grands Lacs, sur le territoire actuel de la Pennsylvanie et du nord de l’État de New York. La terre est détenue et travaillée en commun. La chasse se fait en groupe et les prises sont partagées entre les membres du village. La notion de propriété privée des terres et des habitations est parfaitement étrangère aux Iroquois. Les femmes jouent un rôle important : le lignage s’organise autour de ses membres féminins dont les maris viennent rejoindre la famille. Les familles élargies forment des clans et une douzaine ou plus de clans peuvent former un village. Les femmes les plus âgées du village désignent les hommes habilités à représenter le clan au conseil de village et de tribu. Elles désignent également les 49 chefs qui composent le grand conseil de la Confédération des cinq nations iroquoises. Les femmes surveillent les récoltes et administrent le village quand les hommes sont à la chasse ou à la pêche. Elles fournissent mocassins et nourriture pour les expéditions guerrières, et ont un certain contrôle sur les affaires militaires.
Les Iroquois de la région de New York sont réputés pour être de terribles guerriers. Les prisonniers de guerre peuvent être mangés, comme dans toutes les armées occidentales à court de ravitaillement. Toutefois, le cannibalisme en dernier recours est à distinguer du cannibalisme rituel (païen). Les Iroquois utilisent les mêmes armes que pour la chasse : le tomahawk, l'arc et les flèches, les massues. À partir des guerres coloniales entre la France et l'Angleterre, certains guerriers iroquois portent un ou plusieurs scalps autour du cou, preuve exigée par les colons de leur valeur au combat, les colliers d'oreilles servant de monnaie imposée par les occupants se battant le plus souvent par tribus interposées dans une logique d'extermination des peuples autochtones.
LE RENDEZ-VOUS DE L’HISTOIRE SUR DEUX
PIONNIERS VALMORENCEENS
DE LA NOUVELLE-FRANCE
(Lecture à trois voix)
Lecteurs
Hervé Collet, président de Valmorency, auteur du scénario : HC
Juliette Degenne, comédienne professionnelle : JD
Claude Lesko, comédien professionnel : CL
HC
Les rendez-vous de l’histoire valmorencéenne vont nous entraîner ce soir outre atlantique, sur ce territoire, jadis appelé Nouvelle-France et qui, aujourd’hui, est principalement représenté par le Québec et par le Nouveau-Brunswick, qui couvre une partie de l’Acadie. Nous sommes d’autant plus heureux de jeter un regard sur ces terres francophones que nous accueillons, parmi les spectateurs, des membres de l’association France-Québec du Val d’Oise, que nous sommes heureux de saluer.
Nous allons évoquer deux personnages du XVIIème siècle, ayant eu des liens étroits avec la Vallée de Montmorency, qui sont partis sur le continent américain en vertu de motivations diverses, mais qui ont exercé des responsabilités officielles au nom de la France, sous Richelieu, Mazarin et Colbert. Ils incarnent, d’une manière diamétralement opposée, presque caricaturale, deux manières de considérer la colonisation à cette époque. L’un peut être présenté comme un prédateur, l’autre comme un héros civilisateur. Ne soyez pas surpris par l’ordre de présentation de ces deux figures. Il n’est pas chronologique, mais, vous verrez, ce n’est pas trop grave. Nous avons voulu commencer par, j’allais dire « le méchant », disons, le prédateur, pour finir par « le bon », ou plutôt le héros civilisateur, d’autant plus que nous nous trouvons à Montmagny, et autant garder le magnymontois pour la bonne bouche. C’est ainsi que nous abordons maintenant la vie et l’histoire de François-Marie Perrot, châtelain à Eaubonne.
CL
La famille Perrot est implantée à Eaubonne depuis le 3 mars 1606, date à laquelle l’ancêtre. Cyprien Perrot a acquis le prestigieux fief de Meaux, rival de la seigneurie de la Cour-Charles, aujourd’hui château de la Chesnaie, un des plus beaux fleurons de la Vallée de Montmorency. François-Marie Perrot, né 1644, en tout en grandissant à Paris comme tous les nobles et bourgeois de cette époque, a certainement passé de belles heures à Eaubonne, durant la belle saison. On a peu d’information sur lui, à vrai dire, avant la bonne opération matrimoniale qu’il fait en épousant en 1669 Madeleine Laguide Meynier, nièce de l'intendant de la Nouvelle France, Jean Talon. Il est alors capitaine au régiment de Picardie. Peu de temps après son mariage, Jean Talon lui propose de partir avec lui en Nouvelle-France pour Montréal, ville créée vingt-cinq ans auparavant.
JD
Montréal, en effet, été fondée en 1642 par Paul Chomedey de Maisonneuve à l’initiative de la Société de Notre-Dame. Cette société, de son vrai nom Société de Notre-Dame de Montréal pour la conversion des Sauvages de la Nouvelle-France, est un groupe de personnes formé en 1641 dans le but de fonder une ville fortifiée en Nouvelle-France, afin d'y instruire colons français et Indiens chrétiens. Elle est dissoute en 1663, peu de temps après la mort de deux de ses membres fondateurs et lègue son avoir à la congrégation de Saint-Sulpice, implantée depuis 1657 à Montréal.
HC
Maisonneuve ayant quitté la ville en 1665, les principaux habitants se regroupent autour des Sulpiciens, détenteurs à la fois d’un pouvoir religieux à titre de curés et d’un pouvoir temporel à titre de seigneurs. Ils reprennent même en main la haute justice seigneuriale en 1666. Dans les trente premières années, Montréal se développe lentement. Quand Perrot arrive, la ville ne compte que quelques centaines d’habitants, et moins d’un millier de personnes peuplent l’ensemble de l’île.
JD
Accompagné de sa femme et de son oncle Talon, Perrot part de La Rochelle le 5 juillet 1669, mais, le navire ayant fait naufrage sur les côtes du Portugal, Perrot et ses compagnons doivent rentrer en France. Le 20 avril 1670, à la suite de la nomination de M. de Bretonvilliers comme supérieur des Sulpiciens de Paris, François-Marie reçoit le mandat de gouverneur de Montréal.
CL
À la mi-mai 1670, il part de nouveau de La Rochelle, accompagné de Talon, mais non de sa femme, pour arriver à Québec le 18 août. À son arrivée à Montréal, Dollier de Casson, supérieur du séminaire des Sulpiciens fait cette remarque : « Comme c’est un gentilhomme fort bien fait et de naissance, son arrivée nous a tous donné sujet d’en beaucoup espérer ». Cet espoir des Sulpiciens sera gravement déçu.
HC
Le 14 mars 1671, pour se soustraire de la dépendance à l’égard des seigneurs de Montréal, Perrot demande une commission royale pour son poste de gouverneur, au lieu d'un simple mandat accordé par ces Messieurs de Saint-Sulpice. L'oncle Jean Talon prend en main la requête de son neveu et fait pression sur Colbert, ministre de la Marine, et donc des Colonies, pour qu'il obtienne cette nomination officielle, ce qui ne tarde pas à se faire en juillet 1671.
CL
Cette consécration royale vient à point nommé pour sauver Perrot, criblé de dettes, et poursuivi par ses créanciers. En effet, quand ceux-ci ont recours aux tribunaux afin de saisir ses biens, la commission le met à l’abri de la confiscation pendant la durée de son service au Canada, parce qu’il se trouve alors incapable de défendre ses intérêts en personne devant les tribunaux de France. Il s’agit-là d’une façon habituelle de procéder pour les officiers servant au loin.
JD
Comme gouverneur de Montréal, Perrot reçoit un salaire de 1900 livres et a le commandement d'une garnison rudimentaire de six soldats qu'il n'hésite pas à utiliser pour réduire l'opposition au silence. Ce salaire ne lui suffit pas et se tourne vers le commerce des fourrures. La fourrure du castor est la plus demandée en Europe, car la mode est au chapeau de castor. Mais les marchands européens se montrent également intéressés par toutes sortes d'autres fourrures. Des négociants français établissent les premiers postes de traite au Québec dès le début du XVIIème siècle. Le commerce de la fourrure change radicalement le mode de vie des Indiens. Grâce aux fourrures, ils disposent d'une monnaie d'échange pour acquérir outils, armes et d'autres biens importés par les blancs.
HC
Des centaines de postes de traite sont construits un peu partout à travers le continent. Ces postes sont approvisionnés régulièrement avec des marchandises spécialement destinées aux Indiens. Parallèlement aux postes de traite, les coureurs des bois qui s'aventurent dans les régions les plus reculées du pays pour trapper le castor font eux aussi du troc avec les autochtones.
JD
Parmi les objets les plus recherchés par les Indiens, il y a les haches ou tomahawks, les couteaux, les pointes de flèches et de lances, les aiguilles, les perles en verre pour la décoration des vêtements, les tissus et couvertures de laine, les marmites, etc. Par la suite, ils vont aussi obtenir des fusils, de la poudre et des balles, ce qui donne un avantage certain aux tribus qui en possèdent. Pour la petite histoire, un fusil s'échange contre sa hauteur en peaux de castors. C'est pour cette raison que les fusils de l'époque sont de plus en plus longs.
HC
L'histoire du commerce des fourrures est marquée par la concurrence que se livrent les Français d'une part, les Hollandais et les Anglais établis sur la côte Est américaine et sur la baie d'Hudson d'autre part. Généralement, les fourrures rapportent beaucoup plus aux autochtones si elles sont cédées aux Anglais plutôt qu'aux Français. Mais ces derniers déploient beaucoup d'efforts diplomatiques et militaires et réussissent à s'attacher la collaboration de nombreuses tribus.
CL
En Nouvelle-France, tous peuvent s'adonner à la traite, à condition que toutes les fourrures soient dirigées vers les comptoirs des détenteurs du monopole : la Compagnie des Cent Associés (de 1627 à 1663), la Compagnie des Indes occidentales (de 1664 à 1674) et le gouvernement royal de 1674 à la fin du Régime français. On tente bien de contrôler l'exploitation de la ressource et la circulation des personnes par un système de permis, qu'on appelle des congés. Pendant la majeure partie du Régime français, il faut obtenir un congé des autorités coloniales pour partir vers les Pays d'en haut.
JD
On craint que les habitants délaissent leurs terres pour s'adonner au commerce des fourrures. Mais malgré toutes les ordonnances qu'on émet à ce sujet, et toutes les tentatives pour punir les contrevenants, le commerce illégal est très répandu. Il est en effet très difficile de contrôler les allers et venues de chacun dans les vastes étendues sauvages que constituent les Pays d'en haut.
HC
Quoiqu'il en soit, les autorités métropolitaines et le roi lui‑même ferment volontiers les yeux sur le commerce officieux et licencieux de ses représentants en Nouvelle‑France. Les trafiquants et les coureurs des bois sont des officiers, des soldats, des agriculteurs, des colons, des marchands, tous des gens qui exercent le nouveau métier de la traite parce qu'ils y trouvent une plus grande satisfaction et un plus grand revenu que dans la culture de la terre.
JD
En 1671, Perrot accompagna Rémy de Courcelle, gouverneur général de la colonie, jusqu’au lac Ontario pour ordonner aux Iroquois de cesser leurs attaques contre les tribus indiennes alliées aux Français et d’abandonner leur projet d’attaquer les établissements français. L’audacieuse expédition de Courcelle atteint son but, qui est d’éviter la guerre. L’année suivante, Perrot obtient en concession seigneuriale la grande île située au confluent de la rivière des Outaouais (Ottawa) et du Saint-Laurent qui porte maintenant son nom. L'endroit que Perrot a choisi pour établir son poste de traite est de loin le plus stratégique.
CL
En effet, ses hommes, installés au sud-ouest de l'Île de Montréal, interceptent de part et d'autre les Indiens et les coureurs qui descendent le Saint-Laurent ou l'Outaouais avant qu'ils n'atteignent Montréal. Comme il est tenu de rester à Montréal en raison de ses fonctions de gouverneur, il délègue ses pouvoirs à l'Île Perrot à Antoine Lefrenaye de Brucy, qui y installe un poste de traite.
HC
Le 29 octobre 1672, peu avant son départ pour la France, Jean Talon concède officiellement à Perrot l’île qui porte son nom depuis un an. Dans l’introduction de l’acte de nomination, il rappelle les mobiles de la colonisation de la Nouvelle-France : « Sa Majesté (a) de tout temps recherché avec soin et le zèle convenable, au juste titre de fils aîné de l'Église, les moyens de pousser dans les pays les plus inconnus, par la propagation de la foi et la publication de l'Évangile, la gloire de Dieu, avec le nom chrétien, fin principale de l'établissement de la colonie française en Canada, et par accessoire de faire connaître aux parties de la terre les plus éloignées du commerce des hommes sociables la grandeur de son nom et la force de ses armes… ».
CL
Mais Perrot ne va pas tarder à être confronté à une redoutable concurrence, celle du nouveau gouverneur général de la Nouvelle France, le Très Haut et Très Puissant Seigneur Louis de Buade, comte de Palluau et de Frontenac, que nous nommerons plus commodément Frontenac. Nommé le 6 avril 1672 par le Roi, il embarque le 28 juin à la Rochelle et est assermenté le 23 octobre. En tant que gouverneur, il a pouvoir absolu sur les affaires militaires. Il possède même le droit de véto à l'égard des décisions des autres dirigeants. Le départ de l'intendant Jean Talon en novembre lui donne davantage d’autorité.
JD
Fastueux et ruiné, il ramène rapidement la Nouvelle-France à sa vocation naturelle : la traite des fourrures. Il juge totalement illogique de fabriquer sur place des produits qui s'avèrent souvent de qualité inférieure à ceux qu'on importe de France. Aussi ne doit-on pas s'étonner de voir le gouverneur-panache lancer bientôt ses coureurs de bois ‑ prétextant parfois des corvées militaires pour s'éviter des frais trop onéreux - à travers le continent nord-américain » (d’après (Robert Lahaise, op. cit. p. 15.)
HC
Lorsque Frontenac établit un poste de traite au lac Ontario (fort Frontenac, actuellement Kingston) en 1673, Perrot prend la mouche et se rapproche des marchands de Montréal afin de protester contre cette menace au commerce local. Devant cette résistance, Frontenac cherche par tous les moyens à éliminer Perrot, son principal rival. Les relations entre les deux gouverneurs s'enveniment lorsque Frontenac érige le fort Cataraqui (poste de traite) plus haut sur le Saint‑Laurent, à la décharge du lac Ontario. De cette façon, le gouverneur général court-circuite le commerce des fourrures bien au‑delà de l'Île Perrot. La colère de Perrot est totale.
CL
Suite à ce commerce illégal de traite de fourrures, Frontenac fait arrêter de Brucy et Perrot, au printemps de 1674. Perrot reste huit mois en prison à Québec. Mais il ne se laisse pas intimider et, de sa cellule, il présente une défense fort efficace, dans laquelle il dénie au Conseil souverain le droit de le juger, puisqu’il détient sa nomination du roi et qu’il n’est comptable de ses actes qu’envers sa Majesté. Perrot réussit à faire naître chez les conseillers la crainte que leur projet de lui faire un procès soit tenu pour illégal.
JD
Au grand dam de Frontenac, ils finissent par déférer l’affaire au roi. Frontenac envoie alors Perrot en France le 22 octobre pour rendre compte au roi de son prétendu refus d’obéir aux ordres du gouverneur général de la colonie.
HC
Louis XIV et le ministre de la Marine, Colbert, renvoient dos à dos Frontenac et Perrot en les blâmant tous les deux. Mais, afin de sauvegarder l’autorité du roi conférée au gouverneur général, Perrot subit pour la forme une peine de réclusion de trois semaines, dans des conditions plutôt confortables, à la Bastille. Et, dès sa libération, on le renomme gouverneur de Montréal, grâce à une nouvelle intercession de l'oncle Jean Talon et Frontenac reçoit l’ordre de le traiter avec plus de respect à l’avenir.
JD
À son retour en Nouvelle-France au printemps 1675, Perrot fait la paix avec Frontenac et se soumet à lui. Ces deux personnages concluent alors une alliance visant à favoriser leur activité illicite dans le domaine de la traite. Perrot et ses alliés forment un sous-ensemble de la clientèle de Frontenac. Ce dernier, maître du clientélisme, s’impose dans les secteurs les plus importants de la ville. En retour, il ne manque pas d’étouffer les plaintes que formulent contre son protégé les seigneurs sulpiciens et la population de Montréal.
CL
Assuré de l’impunité, Perrot traite les gens de Montréal sans ménagement. Quiconque proteste contre sa façon d’accaparer le commerce des fourrures est battu par ses gardes ou jeté en prison sans autre forme de procès, aussi longtemps que Perrot le juge bon. Le système judiciaire est entièrement soumis au pouvoir politique.
HC
Il faut dire que l’administration de la justice présente un problème délicat. Le premier bailli, Charles d’Ailleboust des Muceaux, militaire honnête et respecté, n’a aucune formation juridique. L’un des sulpiciens, Pierre Rémy, doit souvent agir à titre de conseiller et d’arbitre, mais il craint lui-même que cela ne prête flanc à des accusations d’ingérences ecclésiastiques dans les affaires de justice.
CL
Vers 1675, les sulpiciens de Montréal demandent qu’on leur envoie un juge mieux formé, mais la réponse de Paris résume la difficulté d’assurer une bonne justice dans une ville frontière : « Quand on trouvera un bon avocat, fort homme de bien, expérimenté, fort prudent, et qui voudra aller à Montréal on ne manquera pas de vous l’envoyer ». En plus d’un bon juge, la justice nécessite aussi un greffier qui tienne les documents en bon ordre, ce qui n’est pas le cas de Bénigne Basset. Celui-ci est critiqué en 1674, non seulement pour le désordre du greffe, mais aussi pour avoir écrit un procès-verbal sur ordre de Perrot, qui n’a pas droit de judicature.
JD
En 1678, Perrot emprisonne arbitrairement Migeon de Branssat, juge au tribunal seigneurial de Montréal, parce qu’il a ordonné l’arrestation d’un coureur de bois à son service. Quand le Conseil souverain décide d’intervenir, Frontenac lui interdit d’agir. Le conseil soumet alors l’affaire au roi, qui ne tarde pas à publier un édit défendant aux gouverneurs régionaux d’emprisonner quelqu’un ou de le condamner à l’amende sans un ordre précis du gouverneur général ou du Conseil souverain.
CL
Cet édit est accompagné d’un ordre exprès intimant à Frontenac de n’ordonner l’arrestation de qui que ce soit, pour une raison quelconque, sauf pour les crimes de sédition ou de trahison - qui, fait remarquer Colbert, ne se produisent pour ainsi dire jamais - mais de laisser l’administration de la justice entièrement aux soins des tribunaux établis.
HC
Cet édit royal et les ordonnances qui l’accompagnent protègent la population de la Nouvelle-France contre les arrestations arbitraires. Les événements ultérieurs montreront clairement que le roi et le ministre de la Marine entendent faire respecter l’édit. Coïncidence singulière, en Angleterre, la même année, en 1679, et dans des circonstances assez semblables, le Parlement adopte une loi destinée à atteindre la même fin, celle qui est passée à la postérité sous le nom d’Habeas corpus.
JD
Mais Perrot n’accorde aucune attention à l’édit. Assuré de la protection de Frontenac, il continue à brimer les habitants de Montréal qui se plaignent de la traite illégale des fourrures à laquelle il se livre. Lorsque les Outaouais descendent à Montréal pour échanger leurs pelleteries, il poste ses gardes de façon à empêcher tout le monde, sauf ses hommes et ceux de Frontenac, de se livrer à la traite avec eux.
CL
Un jour, raconte-t-on, il troque les vêtements qu’il porte avec un Indien, qui se pavane ensuite en ville dans l’accoutrement du gouverneur, et Perrot se vante d’avoir fait un bénéfice de 30 pistoles sur cet échange. On a calculé que pour la seule année 1680, il réalise un profit illicite d’environ 40 000 livres sur la traite des fourrures. Deux ans plus tard, on signale de source digne de foi qu’il a fait des gains de 100 000 livres grâce à la vente de peaux de castor à Niort, au Poitou.
HC
Quand, en 1680 et 1681, le Conseil souverain veut demander des comptes à Perrot, Frontenac lui suscite tous les obstacles possibles. Vers février 1681, des vaisseaux du Canada arrivent en France transportant un mémoire de l'intendant Duchesneau. Parmi les sujets traités, Jean-Marie Perrot, le gouverneur de Montréal, fait l'objet d'accusations particulièrement sévères. Selon le rapport de l'intendant, « il y a de grandes pleintes contre ledit Sr. Perrot tant pour sa conduitte villene que pour son commerce publicq, on l'accuse d'avoir mesme excité une sedition à Montréal ».
JD
Perrot n'est pas ennuyé par ce courrier et maintient à Montréal un gouvernement arbitraire, protégé par Frontenac. Mais, en 1682, ce dernier est démis de ses fonctions. Perrot est lui aussi mis en cause : malgré l’intercession de son frère, Perrot de Fercourt, et des amis influents qu’il compte à la cour, les plaintes formulées contre lui par les habitants de Montréal, par les seigneurs de l’île, par l’intendant et par le Conseil souverain sont trop nombreuses et avec trop de preuves à l’appui pour qu’on les ignore.
CL
En mai 1682, le roi informe Joseph-Antoine Le Febvre de la Barre, nouveau gouverneur général de la colonie, qu’il a décidé de démettre Perrot de son poste. La Barre est chargé de recommander un officier en poste dans la colonie pour lui succéder. Mais ce dernier défend Perrot, minimise l’importance de son commerce illégal de fourrures et déclare que les plaintes dont il est l’objet viennent de la jalousie des marchands de Montréal.
HC
En fait, La Barre excuse sa propre conduite, aussi bien que celle de Perrot, car il se montre lui-même très actif dans le domaine de la traite, en dépit d’ordres très stricts lui interdisant d’y prendre part directement ou indirectement. Toutefois, le ministre n’est guère touché par les arguments de La Barre et, le 3 août 1683, le roi signe un ordre pour interdire le sieur Perrot, dans des termes qui méritent d’être médités quand on connaîtra la suite de la carrière de l’ex gouverneur de Montréal :
CL
« Sa majesté estant mal satisfaite de la conduite que le Sieur Perrot, gouverneur de Montréal, a tenüe avec les prestres du seminaire de cette isle, Sa Majesté l'a interdit des fonctions de ladite charge, fait deffenses aux officiers servant soubs ses ordres de le reconnoistre à l'advenir en ladite qualité de gouverneur ».
HC
On pourrait penser que se termine ainsi la carrière administrative de Perrot. Il est en effet remplacé par Louis-Hector de la Callière et se consacre pendant quelques mois à son trafic de fourrures dans l’île qui porte son nom. Mais c’est compter sans la puissante influence qu’exerce auprès de Colbert l’oncle Jean Talon et, oh surprise !, au printemps 1684, François-Marie Perrot reçoit une nouvelle affectation officielle, celle de gouverneur de l’Acadie, dans une lettre de provisions dont la tonalité ne manque pas de sel :
JD
En date du 10 avril 1684 : « … nous avons estimé important au bien de nostre service d'establir (en Acadie) un gouverneur sur la suffisance et la fidellité duquel nous puissions nous reposer de la conduitte de nos subjets de la dite colonie, nous avons cru ne pouvoir pas faire un meilleur choix que du Sieur Perrot qui nous a donné plusieurs preuves de son experience et de sa fidelité dans le gouvernement de Montreal… »
CL
C’est ainsi que Perrot, rentré en grâce, quitte la région des lacs pour succéder au sieur Michel Le Neuf de La Vallière, qui n’a pas donné satisfaction dans le gouvernement de cette difficile province. Il a déjà vendu le 2 mars 1684, l'île qui porte son nom à Charles Lemoyne, Sieur de Châteauguay, ce qui montre qu’il est tout à fait informé des tractations de son oncle, bien avant l’envoi de sa nomination officielle. Ce territoire va désormais évoluer sans lui jusqu’à former de nos jours un comté qui regroupe les municipalités de Pincourt, Île-Perrot, Terrasse-Vaudreuil et Notre-Dame-de-l’Île-Perrot (environ 40 000 habitants).
HC
Territoire avec lequel la ville d’Eaubonne établira peut-être un jour des relations, à l’image du jumelage entre Montmagny – France et son homonyme au Québec, comme nous le verrons tout-à-l’heure.
L’Acadie, comme on vient de le dire, est effectivement une province en grande précarité. Elle est peu peuplée et lamentablement négligée par le gouvernement français, de sorte que cette colonie compte peu de fonctionnaires et n’entretient guère de correspondance avec le ministère de la Marine.
JD
Perrot arrive à Port-Royal, capitale de l’Acadie en août 1684. Ses mobiles lucratifs n’ont pas changé et il ne tarde pas à remettre sur pied son commerce illicite, d’abord avec les Amérindiens puis avec les Bostonnais, colons anglais dont la province est économiquement dépendante. Au point de négliger les devoirs de sa charge. Il est d’ailleurs accusé de laisser tomber en ruines les fortifications de Port-Royal. Privés des moyens les plus élémentaires et d'un réel appui militaire, les Français d'Acadie restent lamentablement impuissants à faire respecter leurs droits ; impuissants aussi à concurrencer les comptoirs anglais à Port-Royal et les quelque huit cents bateaux de marchandises qui viennent du sud, annuellement. Leur autorité sur les bancs de morue, une manne pour la Nouvelle-Angleterre, était fictive.
CL
Perrot se conduit dans son nouveau poste comme il l'a fait sur la rive du Saint-Laurent. Il envoie directement à Boston les étoffes de toile et le vin, et continue « jusques a débiter luy mesme dans sa maison, a la vue des estrangers, la chopine et le demyar d'eau de vie » (« Saint-Castin à Denonville, 2 juillet 1687, » dans Collection des Manuscrits contenant lettres, mémoires et autres documents historiques relatifs à la Nouvelle-France, 4 vol. (Québec 1883-1885), vol. 1, p. 400).
HC
Il se heurte cependant à un redoutable concurrent : le baron Jean-Vincent d'Abbadie de Saint-Castin (1652-1707). Cet ancien militaire, qui a combattu les Iroquois en Nouvelle-France, s’est installé en Acadie en 1770, après être retourné en France après la paix avec les Indiens. Il a fondé au fort Pentagouet, situé en plein cœur du système de défense des colonies françaises en Amérique, un village franco-abenaqui, après avoir épousé une indienne peu après son arrivée, puis une autre en 1677, qui lui a donné huit enfants. Cette colonie métisse contrôle le commerce des peaux de castor dans la région.
JD
Perrot n’a de cesse que d’éliminer ce gêneur. Il entreprend de discréditer Saint-Castin auprès des autorités supérieures pour violation de l' « Exclusif ». Selon cette réglementation, mise en place par le pouvoir royal, les colonies ne peuvent pas établir d’activités qui entreraient en concurrence avec celles de la métropole ni commercer directement avec l’étranger. Ce système gêne les colons, qui ne peuvent écouler facilement l’ensemble de leur production et sont approvisionnés irrégulièrement à des prix élevés. Ils pratiquent l’interlope (commerce de contrebande réalisé avec une colonie étrangère en violation de l’Exclusif colonial) autant par nécessité que par intérêt.
CL
Perrot envoie à ses supérieurs un rapport malveillant sur Saint-Castin. Il écrit un véritable brûlot à l’encontre des habitants français qui vivent dans les parages de celui qu’il appelle « le capitaine sauvage » : « Ces peuples au lieu de s'appliquer à la culture des terres… ne songent qu'à commercer dans les bois et à mener une vie scandaleuse avec les sauvagesses... Pentagoët est le lieu qui sépare l'Acadie d'avec la Nouvelle- Angleterre. Il y avait un fort qui a esté pris et ruiné pendant les dernières guerres, il y a toujours demeuré un gentilhomme à une demie lieue en-deça, avec des valets, qui n'a défriché ny rien fait non plus que les autres, que de s'amuser à la traite des sauvages ».
HC
Cette attaque est dangereuse pour Perrot lui-même, car l'arme risque de se retourner comme un boomerang. Dans un premier temps, elle fait mouche et nuit beaucoup à la réputation de Saint-Castin. Mais ce dernier contre-attaque. Il se plaint de traitements odieux. « Ce ne sont pas mes petites folies qui inquiètent M. Perrot. Il traite de l'eau-de-vie, même devant les étrangers. Il veut être seul marchand. Il ne m'accorde pas de congé pour l'Ile Percée, de peur que j'aille à Québec ». Perrot a même interdit à son rival l'importation des meules de moulin, vendues seulement à Boston. Saint-Castin décoche à son adversaire la flèche fatale : « Lui-même a des relations secrètes avec les Anglais ». Injure suprême !
JD
Saint-Castin finit par se rendre à la Cour de Versailles pour plaider sa cause en février 1687. La réaction du ministre des colonies est vigoureuse. Le successeur de Colbert (mort en 1683), son propre fils, Jean-Baptiste, marquis de Segnelay, fait savoir à Perrot que : « Si, après tant de marques de faveur et d'avertissement, il continue son commerce défendu avec les Anglais, le roi lui fera ressentir son indignation... ». Le courroux du roi ne tarde pas à se manifester puisque Perrot se voit retirer en avril 1687 son titre de gouverneur d’Acadie. Il est remplacé par Louis-Alexandre des Friches de Menneval.
CL
Après sa révocation, Perrot demeure sur place, poursuivant ses divers trafics. Il passe au service de la Compagnie de la pêche sédentaire en Acadie. Le 27 mai 1689, on le retrouve en France. Ce jour- là, M. de Chevry et ses anciens associés constituent une nouvelle Compagnie de l'Acadie. Dans cette société, Perrot joue un rôle majeur. C'est lui qui fournit à la Compagnie un nouveau vaisseau, nommé L'union.
HC
Quelques jours plus tard, le 4 juin 1689, Henry Perrot, chevalier de l’Ordre de Malte, donne à son frère François-Marie, la part qu’il détient du château et du domaine du fief de Meaux, à condition de pouvoir jouir de la maison et du jardin. Voilà donc l’ancien gouverneur de Montréal et de l’Acadie, châtelain à part entière à Eaubonne. C’est surtout sa femme, Madeleine, et ses enfants qui jouiront du domaine, car François-Marie Perrot retourne en Acadie, avec le navire L’union, mais un peu tard pour y faire une bonne campagne. Signalons que dans le même temps, Frontenac, revenu en grâce, est à nouveau nommé gouverneur général de la Nouvelle-France, le 12 août 1689.
JD
À la mi-mai 1690, Sir William Phips, à la tête d’une expédition de Boston, arrive au large de Port-Royal et oblige le gouverneur, Louis-Alexandre Des Friches de Meneval, à rendre le fort, l’emmenant ensuite en captivité avec sa garnison. A ce moment-là, Perrot est en mer pour une partie de pêche à bord d’une caiche. Quand il approche de Port-Royal, il apprend le sort qui a été réservé à la ville. Les Anglais le poursuivent, mais il arrive à leur échapper et se met en sûreté dans le port des Mines, à l’embouchure du fleuve Saint-Jean, de l’autre côté de Port-Royal.
CL
C’est là que le retrouve un mois plus tard, Joseph Robinau de Villebon, officier de la garnison de Port-Royal, qui revient de France le 14 juin, à bord de l’Union, en compagnie d’un colon, François Viennay Pachot, pour prendre le commandement de la province d’Acadie. Les marchandises apportées de France sont débarquées sur place. Perrot monte à bord avec des Gouttins. Par malheur, le bâtiment est retenu à l'entrée de la rivière Saint-Jean par les vents et les courants. Ne supportant pas cette immobilisation, de Villebon descend à terre avec ses soldats pour repérer un endroit où il pourra bâtir un nouveau fort. Quelques jours plus tard, deux navires de pirates des colonies anglaises pénètrent dans le fleuve, s’emparent des vaisseaux français, en même temps que de Perrot. Persuadés que ce prisonnier de marque a caché de fortes sommes, il le torturent pour le forcer à dévoiler sa cachette. Par chance, un flibustier français le délivre en s’emparant du navre anglais qui le détenait.
HC
La plupart des biographes de François Marie Perrot donnent la date du 20 octobre 1691 pour la mort de l’ancien gouverneur de Montréal et d’Acadie, qu’ils situent par ailleurs à Paris, pensons-nous à tort. Car nous disposons du témoignage de Frontenac, qui nous nous apprend la triste fin de Perrot dans une lettre au ministre datée de Québec le 20 octobre 1691, en ces termes :
JD
« Vous avez appris la misérable destinée du sieur Perrot qui, après avoir été traité d'une manière inouïe et extraordinaire par les forbans qui l'avaient pris, a enfin perdu la vie à la Martinique, après avoir été dépouillé de beaucoup d'effets qu'il avait dans son vaisseau et d'autres qui étaient restés à Port-Royal lorsque les Anglais s'en emparèrent l'année dernière ».
CL
Cette version est vraisemblable : le flibustier français qui a délivré Perrot a certainement déposé son passager en Martinique. Celui-ci était dans un tel état qu’il a dû décéder des suites des mauvais traitements que lui ont infligés les pirates anglais. En tout état de cause, si Frontenac signale son décès le 20 octobre 1691, alors qu’il se trouve à Québec, c’est que Perrot est décédé quelques semaines avant cette date, le temps que les nouvelles arrivent en Nouvelle-France.
Mais, un doute m’habite, la famille Perrot est-elle ruinée ?
JD
Non rassurez-vous ! Perrot a pris ses précautions. Certes, il a tout perdu de ses biens en Nouvelle-France, mais il a régulièrement transféré des fonds en France, ce qui a fait dire à un historien de la Nouvelle-France, François-Xavier de Charlevoix, que le « sieur Perrot trouva dans les débris de sa fortune de quoi établir avantageusement ses deux filles, dont l'une épousa le comte de la Roche Allard, et l'autre le président de Lubert ». Cette dernière, Marie-Madeleine Perrot, héritera du domaine du fief de Meaux à Eaubonne en 1716. Son mari, le magistrat Louis de Lubert deviendra président de la chambre des Enquêtes du Parlement. Il joue du violon à ses heures perdues et fonde le 10 janvier 1722 le premier ensemble instrumental amateur français, l’Académie des Mélophilètes. Une de ses filles, Marie-Madeleine de Lubert, qui hérite elle aussi du domaine Eaubonnais, est une femme-écrivain de contes, que Voltaire appellera « Muse et Grâce ».
Huault de Montmagny
HC
Après avoir évoqué le « mauvais exemple » du pionnier valmorencéen, qui vient coloniser la Nouvelle-France en prédateur, nous allons maintenant raconter l’histoire édifiante du héros civilisateur, le chevalier de Montmagny, qui nous accueille en quelque sorte aujourd’hui et qui est intervenu au Canada une génération avant François Marie Perrot, de 1636 à 1648.
Charles Huault de Montmagny est issu d’une famille originaire de la région d’Azay-le-Rideau, en Touraine, dont l’ascendance noble remonterait au règne de Philippe le Bel. Les Huault, dont le patronyme viendrait de leur fief de la Huauldière, possèdent au XVIIème siècle plusieurs domaines en Vallée de Montmorency, à Deuil, Groslay et Saint-Brice. En 1448, ils prêtent serment d’allégeance aux Montmorency, auxquels ils restent liés jusqu’à l’extinction de la lignée en 1699. Le fief qu’ils possèdent à Montmagny comprend un château et son parc, dont il ne subsiste aucun vestige.
JD
Le jeune Charles grandit principalement à Paris, où la famille réside habituellement. Mais les Huault font régulièrement des séjours dans leur « province » valmorencéenne, où ils sont régulièrement cités dans les registres paroissiaux. C’est ainsi que le 17 juillet 1613, continuant une pratique courante parmi les siens « noble fils Charles Huault, Seigneur de Messy, écuyer du roi, notre sire » est parrain du fils d’un paysan.
CL
De 1610 à 1618, il suit l’enseignement des jésuites au collège de La Flèche, dans la Sarthe. Il y rencontre un certain René Descartes et un prêtre revenant d’Amérique du Nord avec lequel il tisse des liens. Cet exemple influencera certainement le destin du jeune homme qui passera toute sa carrière hors de France, en Méditerranée d’abord, au Québec ensuite, aux Antilles enfin. Au sortir du collège, il s’inscrit en 1619 à la faculté de droit de l’université d’Orléans où il ne reste que onze mois.
HC
Promis à une vocation juridique, on dit à cette époque dans la Robe, Charles Huault change brusquement d’orientation. Très imprégné de la foi que lui a notamment transmise sa dévote mère et que la fréquentation des Jésuites a confortée, le jeune homme s’engage en 1622, à 21 ans, dans l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem, appelé plus souvent Ordre de Malte, que nous avons déjà évoqué en citant le frère de François-Marie Perrot, Henry, qui en faisait partie. Cet engagement va déterminer toute sa vie et surtout toute sa carrière. Aussi nous faut-il consacrer quelques instants à mieux connaître ce qu’implique le fait d’être chevalier de Malte, titre que gardera Charles Huault, désigné dans l’histoire comme le chevalier de Montmagny (ou de manière plus brève, Montmagny).
JD
L’ordre de Malte, appelé également à cette époque La Religion, est une milice religieuse très élitiste, dont les membres doivent faire preuve d’au moins huit quartiers de noblesse, c’est-à-dire d’ancêtres gentilshommes (ou « genti-femmes ») sur plusieurs générations. Il semble que la famille Huault, bien que d’illustre origine, ait légèrement triché pour prouver ces huit quartiers. Mais après une enquête très stricte, Charles Huault finit par être admis comme chevalier.
HC
Les chevaliers sont assimilés à des religieux, bien qu’ils agissent dans le monde laïc et qu’ils accomplissent des opérations militaires, les amenant à tuer occasionnellement des hommes et à effectuer des prises de guerre. Ils prononcent les trois vœux traditionnels des prêtres et religieux : de pauvreté, de chasteté et d’obéissance. Pour des raisons inconnues, Charles Huault, bien qu’admis en tant que chevalier, ne prononce pas immédiatement ses vœux. Il ne le fera qu’en 1651. Est-ce par esprit d’humilité ? C’est probable, vu son tempérament. Ce retard, en tout cas, lui interdira l’accès à la direction d’une commanderie, poste réservé à ceux qui ont prononcé leurs vœux. Cette attitude résume toute la vocation de Charles Huault, à savoir être « Corsaire pour le Christ ».
CL
Excusez-moi, Monsieur le président, mais on ne s’y retrouve plus ! Tout à l’heure, vous nous avez dit que Perrot avait été pris par des pirates, puis délivré par un flibustier. Maintenant, vous parlez de corsaire. Quelle est la différence entre tous ces termes ?
HC
Vous avez raison. Des définitions s’imposent :
Le pirate agit pour son propre compte, c'est un hors-la-loi qui parcourt les mers et qui pille, viole et bien souvent tue sans distinction de nationalité. S'il est pris, on le pend haut et court. Haut pour que tout le monde le voie, et court pour économiser de la corde !
Le corsaire, lui, agit sur lettre de marque délivrée au nom du roi. Ce papier est un document par lequel un pays le reconnaît comme force militaire auxiliaire. Il n’agit qu’en temps de guerre. Le corsaire agit au service de son pays, donc, par définition « pour une bonne cause ». S'il est capturé, il exhibe ses lettres de marques, ce qui lui assure le sort d'un prisonnier de guerre et lui évite la corde. Le corsaire est tenu par sa lettre de marque, de n'attaquer exclusivement que les ennemis de son souverain, respectant les neutres et toujours ses propres concitoyens.
Le flibustier, ou frère de la côte, quant à lui, est un corsaire des Antilles qui va sus à l'Espagnol aux XVIIème et XVIIIème siècles. Ce n'est pas un pirate.
CL
Tout dépend donc de ce que l’on entend par « bonne cause » !...
HC
C’est un peu cela… Dans le cas de l’Ordre de Malte, l’enjeu principal, hautement proclamé, est d’assurer la sécurité en Méditerranée des navires chrétiens se rendant en Terre Sainte. Ses ennemis sont de deux sortes : d’abord les pirates dits barbaresques, de confession musulmane ou en tout cas d’origine orientale, qui sévissent en Méditerranée, et ensuite ce que l’on appelle à l’époque les Turcs, c’est-à-dire les sujets de l’Empire Ottoman, qui occupe une grande partie de l’Occident chrétien. Mais nous n’allons pas nous attarder sur cette partie de la carrière de Charles Huault. Elle mériterait toute une soirée. Disons simplement qu’il s’est brillamment comporté au cours des quelque dix ans passés, de 1625 à 1635, à écumer la mer Méditerranée… pour la « bonne cause », s’entend.
JD
En 1635, changement de cap, à tous les sens du mot, pour notre corsaire. Son destin va se tourner vers la Nouvelle-France. Il va passer de la Méditerranée au grand large, mais surtout se fixer à terre. Du vivant de Champlain, il est nommé gouverneur général de la Nouvelle-France. On pense que cette réorientation est due à ses liens de parenté avec Jean de Lauzon, intendant de cette province ultramarine. Charles Huault est considéré comme le premier gouverneur en titre de la « colonie », puisque Champlain ne portait que celui de « commandant en la Nouvelle-France en l’absence » de Richelieu. La première commission de gouverneur du « chevalier de Montmagny » date du 15 janvier 1636. Montmagny recevra par la suite trois autres commissions : en 1639, 1642 et 1645.
CL
Ce poste rassemble en une seule main la quasi totalité de l’autorité civile et militaire. Il est, selon sa lettre de commission (de 1645) : « Gouverneur et lieutenant-général à Québec et dans les provinces arrosées du fleuve Saint-Laurent et des autres rivières qui se déchargent en icelui, et lieux qui en dépendent en la Nouvelle-France, pour commander à tous les gens de guerre qui seront au dit pays, tant pour la garde des dits lieux que pour maintenir et conserver ce négoce, prendre soin de la colonie du dit pays, conservation et sûreté d'icelui sous notre obéissance ».
HC
Pour la vérité historique, j’apporte une précision. Les habitants des deux villes de Montmagny, en France et au Québec sont fiers, à juste titre, d’avoir dans leur escarcelle historique le premier gouverneur général du Québec. Et il est exact, comme nous venons de l’entendre, que ses lettres de commission portent le titre de gouverneur. Mais avec sa modestie habituelle, et selon sa formation militaire, Charles Huault préfère utiliser celui de lieutenant général.
JD
Dans les faits, le gouverneur général doit assurer la sécurité du pays, réprimer la contrebande, présider les conseils avec les indigènes, régler les différends qui s’élèvent entre les individus. Un lieutenant, un greffier et un procureur l’assistent dans ses fonctions. Il est tenu également de conforter les efforts de christianisation des Amérindiens par les différentes congrégations installées dans le territoire. C’est une tâche d’autant plus évidente et exaltante pour Montmagny qu’il est lui-même religieux.
HC
Montmagny arrive dans la colonie le 11 juin 1636. Il est accompagné d’un autre chevalier de Malte, Achilles de L’isle, un de ses lieutenants, de son secrétaire Martial Piraube, qui deviendra commis au greffe et tabellionnage de Québec et de trois officiers : les sieurs Saint-Jean, de Malapert et de Maupertuis. Il se rend immédiatement à l’église où l’on chante le Te Deum, et Marc-Antoine de Brasdefer de Châteaufort, commandant par intérim depuis la mort de Champlain, lui présente les clefs du fort Saint-Louis.
JD
Dans sa Relation de 1636, l’épistolier des jésuites écrit à son sujet : « Je [le] nommerais volontiers le chevalier du Sainct Esprit, tant je le vois porté aux actions sainctes et courageuses et remplies de l’esprit de Dieu ».
Charles Huault, en effet, ne ménage ni ses forces ni son courage au service du roi et de sa foi. Dès septembre 1636, il entreprend un tour de la colonie afin de se rendre compte de la situation des colons. Ce périple le conduit du cap Tourmente à l’île baptisée de Jésus par les Jésuites en janvier 1636 et que Charles Huault appellera, un an après, l’Île de Montmagny, nom qui sera abandonné au profit de son nom d’origine, la particule en moins (Île Jésus). Frappé par l’insécurité de la population, il se préoccupe, dès son retour à Québec, de réorganiser la défense militaire.
CL
Il ordonne la transformation du château Saint-Louis en une forteresse de pierre et de brique avec corps de garde. Il charge l’ingénieur arpenteur Jean Bourdon d’esquisser le plan de la future ville et choisit lui même le nom des premières rues : Saint-Louis, Sainte-Anne et Mont-Carmel. À Trois-Rivières, il fait construire un magasin et une plate-forme garnie de canons.
HC
Il est temps de parler des raisons de l’insécurité des Français en Nouvelle-France, due aux relations complexes et souvent violentes avec les autochtones, à savoir les Indiens, que les Français appellent les Sauvages. Pour mieux saisir l’ampleur de la menace, il faut souligner le fait que la population française du Canada à l’époque ne dénombre que quelques centaines d’âmes.
CL
Rapidement alliés aux nations autochtones commerçantes du Saint-Laurent, les Français les ont appuyé dans leur combat contre leur ennemi traditionnel, la Confédération Iroquoise. Le commerce le long du fleuve Hudson avec les colonies hollandaises a fourni aux Iroquois des armes européennes meurtrières et précises, dont l’arquebuse et le mousquet. Avec l’assistance des mousquetaires français, les tribus alliées ont d’abord remporté un certain nombre de victoires. Mais le décès de Champlain en 1635 a laissé les colonies dans une situation précaire. Enflammés par le désir de se venger, les Iroquois ont alors détruit les villages de leurs ennemis, massacrant de nombreux Algonquins, Montagnais, Hurons et Français tout le long du Saint-Laurent.
HC
En aout 1637, une bande de 500 guerriers Iroquois attaque des canoës Hurons dans la région de Trois-Rivières. Montmagny y est présent au moment de la razzia et assure personnellement la défense de la colonie, armant les alliés Hurons d’épées, de pôles et de couteaux. Bien que formé aux arts militaires classiques pratiqués en Europe, il prend vite conscience des tactiques de guerre des Iroquois, fondées sur la ruse et l’embuscade, c’est-à-dire ce qu’on appelle aujourd’hui la guérilla.
CL
Charles Huault est un excellent stratège, mais c’est surtout un bon diplomate. Cette diplomatie, il ne la pratique pas à la manière des calculateurs retors. Elle est profondément imprégnée de son engagement religieux. Selon les témoignages et les écrits de ses contemporains, il est doux de tempérament, courtois, affectueux, pieux, honnête, charitable et ouvert d’esprit. Il est apprécié autant par les amérindiens Algonquins, Montagnais et Huron que par les colons.
JD
Le Père Paul Le Jeune, missionnaire jésuite, auteur de dix volumes historiographiques intitulés Relations des Jésuites de 1632 à 1641, dit de lui qu’il a « tout mis en si bon ordre, tant parmi les Français que les Sauvages, qu’il y avait lieu de louer le Seigneur pour la méthode et la discipline de part et d’autre”.
HC
Sa prévoyance, sa diligence et son courage personnel taillent à Montmagny une réputation parmi les amérindiens qui sera cruciale à la survie des colonies Françaises en Amérique. Impressionnés par sa grande stature et sa grande dignité, les amérindiens le surnomment Onont(h)io ou Grande Montagne, traduction de son nom Montmagny, Mons Magnus en latin. Preuve de son impact personnel parmi les amérindiens, tous les gouverneurs successifs reprendront à leur tour le titre d’Onont(h)io.
CL
Mais Montmagny ne doit pas baisser sa garde. Tout pourrait s’arranger s’il n’y avait pas des interventions étrangères. Les Hollandais d’Orange (Albany, N.Y.) commencent, en 1639, à troquer avec les Iroquois des arquebuses contre du castor. Les armes à feu donnent aux Iroquois, rivaux des Hurons dans le commerce des fourrures, une incontestable supériorité militaire, car Montmagny continue la politique de Champlain, défendant aux Français d’en vendre aux Indiens.
JD
Une ordonnance du gouverneur en date du 9 juillet 1644, rappelle à cet égard qu’il est fait défense à toutes personnes « de vendre, donner, troquer et échanger aux sauvages tant chrétiens que autres non chrétiens, des arquebuses, pistolets et autres armes à feu, poudre, plomb, vin, eau-de-vie, eaux-fortes, bières et autres boissons, sous peine de confiscations des choses qu'ils auraient vendues, de cinquante livres d'amende et de telles autres peines ». Voilà qui met nettement les Indiens alliés sur un pied d'infériorité.
HC
Forts de l’appui des Hollandais, les Iroquois déclarent officiellement la guerre aux Français en 1641. Une bande imposante de guerriers Iroquois apparaissent dans les environs de Trois-Rivières avec deux prisonniers Français. Montmagny offre à leurs chefs des couteaux, des couvertures, des mats, des robes et des haches, selon la coutume du pays, ainsi qu’un traité de paix. Mais il refuse de leur donner les arquebuses qu’ils réclament. Cela leur vaudra la réaction suivante, rapportée par le Père Vimont, que « Monsieur le Gouverneur se résout de leur « donner à manger » des arquebuses, mais pas de la manière qu’ils espéraient. »
CL
Les négociations dégénèrent en un bref combat dont les Français sortent victorieux. Mais que peuvent faire 300 colons (y compris les femmes et les enfants) dispersés de Beaupré à Trois-Rivières, contre un ennemi aussi rusé que l’Iroquois ? Montmagny emploie, en août 1642, les 40 soldats qui arrivent de France à construire le fort Richelieu. Il ne s’illusionne pas sur l’efficacité de ce fort. Aussi recherche-t-il la paix.
JD
Avec les Iroquois, le Gouverneur décide de pratiquer une politique de générosité. Ayant fait des prisonniers en 1644, il les libère quelque temps après, les invite à retourner dans leurs tribus et à revenir s’ils le veulent. Ils le promettent et retrouvent leur tribu où on les croyait torturés, tués, dévorés. C’est une heureuse surprise.
HC
Comme la torture des prisonniers est pratiquée parmi les nations autochtones tant alliées qu’ennemies, Montmagny libère autant de captifs qu’il le put. Lorsque les Algonquins capturent un Iroquois après une escarmouche, Montmagny leur rachète leur prisonnier avant qu’il ne passe au bûcher.
CL
Pourtant, il faut attendre 1645 pour que les Iroquois envoient un délégué, suivi à peu de distance d’une délégation pour traiter la paix. On ne l’attendait plus. Il est accueilli à bras ouverts. Les autres demandent à être reçus par le Gouverneur, qui accepte et les fête à la mode du pays dans la maison des Révérends Pères.
JD
En 1646, Montmagny se rend chez eux. Les deux parties en présence traitent de la paix, et la ratifient selon le cérémonial connu de l’enterrement de la hache de guerre et du calumet fumé. Hélas, comme chez les Hurons, le contact avec les Européens contamine les Iroquois. Ils sont décimés par les maladies. Convaincus que les missionnaires, assimilés à des démons, en sont la cause, ils décident de se venger.
HC
En 1647, un missionnaire, le jésuite Isaac Jogues et son serviteur, croyant entrer dans une maison amie, sont assommés par derrière et leur tête tranchée est fixée à un poteau de la tente. C’est la reprise des hostilités. Les Iroquois ont déjà projeté la destruction de la Huronie. Ils réaliseront leur dessein en 1648–1649, au moment où Montmagny partira.
Mais quittons le registre de la guerre pour évoquer l’œuvre civilisatrice du chevalier de Montmagny.
CL
En automne 1641, le premier convoi de la Société Notre-Dame arrive à Québec. Chomedey de Maisonneuve, le chef de la recrue, veut installer sa colonie, comme nous l’avons vu, dans l’île de Montréal. Montmagny juge que c’est une « folle entreprise » de se fixer dans une île aussi avancée et tellement exposée aux attaques iroquoises. Il presse les pionniers de s’établir dans l’île d’Orléans. Mais Maisonneuve reste ferme sur ses positions et Montmagny se trouve dans l’obligation de mettre les membres de la société en possession de l’île. Il gardera toujours par la suite ses distances avec la communauté de Montréal.
JD
Peut-être juge-t-il l’aventure trop téméraire, peut-être aussi ne pardonne-t-il pas à la Société de Montréal de jouir de lettres patentes qui lui octroient une grande autonomie administrative et religieuse ? Quelles qu’en soient les raisons, Montmagny montrera peu d’empressement, en 1647 et 1648, à aider les habitants de Montréal aux prises avec les Iroquois, s’efforçant même de retenir à Québec les quelques soldats dont il dispose.
La ville canadienne de Montmagny
HC
Parallèlement à ses activités d’administrateur, Charles Huault fait entreprendre d’importants travaux de défrichement près de l’Île-aux-Oies sur le fleuve Saint-Laurent. Le 5 mai 1646, il se voit concéder par Compagnie de la Nouvelle France, la propriété d’un site nommé la Rivière-du-Sud dont il devient le seigneur. Son domaine, qui inclut des terres entourant la rivière-du-Sud, l’Île-aux-Grues et l’Île-aux-Oies, mesure une lieue et demie de front pour quatre de profondeur.
CL
Le 28 septembre 1646, est signé un bail entre Charles Huault et Jacques Boissel. Ce laboureur d’origine orléanaise devient le responsable de la ferme de Montmagny, située sur l’Île-aux-Oies, où 80 arpents (26,66 ha) de terres labourables sont exploités. C’est à cet emplacement que se situe actuellement la ville de Montmagny (Québec, avec laquelle la commune de Montmagny (France) entretient de cordiales et solides relations.
JD
Pour honorer sa mémoire, un monument lui a été dédié, portant en médaillon le portrait de Charles Huault en bronze, gravé par le sculpteur J.P. Couture. Il a été inauguré à Montmagny Québec, en présence du maire de Montmagny France, en 2001.
De même, en France, le Conseil municipal de Montmagny a décidé en novembre 2002 de donner son nom à un mail nouvellement construit dans le quartier de la Jonction.
En outre, depuis 1979, l’esplanade située devant la bibliothèque en centre-ville s’appelle la Place du Québec, pour rappeler les liens historiques qui unissent Montmagny à son homonyme canadienne.
HC
Evoquons maintenant l’activité de Charles Huault dans le domaine religieux. En effet, comme son prédécesseur Champlain et selon la pensée de l’époque, son action commerciale s’accompagne d’un effort systématique d’évangélisation. Avant lui, Champlain a introduit, pour le compte du commandeur de Chastes, les Jésuites en Acadie (1611) puis les Récollets (1615) avant de devenir en 1620 lieutenant général au Canada. Il a introduit les jésuites à Québec en 1625. Cette longue et fastidieuse mission est décrite dans les Relations que les jésuites rédigent à partir de 1632 pour rendre compte de leur travail apostolique en Nouvelle-France : ils y louent les efforts entrepris par le gouverneur pour les aider dans leur tâche.
JD
Huault va s’appuyer sur les Jésuites pour intensifier l’évangélisation des Amérindiens. Pour les seconder, Charles Huault fait venir en 1639, pour l’enseignement des filles indigènes, un groupe d’Ursulines de Tours conduites par Marie Guyard, appelée en religion Marie de l’Incarnation ainsi que les hospitalières augustines, soutenues par la duchesse d’Aiguillon. Huault les installe dans la ville haute de Québec, près des Jésuites et des magasins de la Compagnie. Parallèlement, il veille au strict respect de la pratique religieuse parmi les colons, promulguant même une ordonnance interdisant le blasphème.
CL
En 1641, les Jésuites établissent à Sillery près de Québec la première « réduction » indienne. Elle préfigure les futures réserves indiennes, et s’inspire du modèle que les Jésuites ont développé au Paraguay depuis quelques dizaines d’années. Les premières réductions de Nouvelle-France sont créées sur des terres seigneuriales attribuées par décret royal aux néophytes amérindiens, sous la tutelle des missionnaires. C’est là que viendront se faire baptiser et s’installer de façon plus ou moins épisodique des Innus, Algonkins, Malécites, Abénaquis puis Hurons.
JD
La réserve est financée par un noble français du nom de Noël Brûlart de Sillery, qui répond à l'appel du père Paul Le Jeune de rassembler les Amérindiens vagabonds dans un endroit convenable afin de les convertir. La réserve est accordée sous forme de seigneurie aux Amérindiens chrétiens, sous la supervision des jésuites. Huault, ardent promoteur de la conversion des Amérindiens, met en place un programme d’instruction amérindien à Sillery. Il va même jusqu’à assister aux cours de catéchisme et à parrainer personnellement au moins une douzaine de catéchètes amérindiens. Le Père Le Jeune le considère comme « un exemple remarquable de piété ».
HC
On ignore si c’est à cause de son âge, de ses réticences à l’égard des sociétaires de Montréal, de sa politique hésitante depuis quelque temps envers les Iroquois ou des visées de l’ordre de Malte en Amérique, que Montmagny est remplacé en 1648. Le Conseil du roi, qui compte trois membres de la Société de Montréal, songe d’abord à Maisonneuve comme successeur. Celui-ci se récuse en faveur de Louis d’Ailleboust, qui est nommé le 2 mars 1648. Montmagny ne laisse paraître aucune aigreur. Il reçoit le nouveau gouverneur avec faste le 20 août 1648 et s’embarque pour la France le 23 octobre. Il accepte de commander le navire amiral de la flotte qui revient au pays avant la saison des glaces.
JD
Il quitte la Nouvelle-France sincèrement regretté de tous pour sa prudence et sa sagesse. Il laisse le souvenir d’un administrateur consciencieux, soucieux du progrès et du bien-être de la population, aussi bien des colons français que des autochtones. Il a fait de son mieux pour apporter sécurité et confort à ses compatriotes. On peut lui reprocher de ne pas avoir réussi à développer le négoce des fourrures ni à recruter suffisamment de colons comme la Compagnie l’exigeait. Mais ce n’était pas sa vocation, il faut le reconnaître, contrairement à Perrot.
CL
En tout cas, il a su courageusement résister aux Iroquois avec des moyens dérisoires. Avec son départ, la Nouvelle-France sera dépourvue d’un chef fort et plongera dans un état de crise. Les alliés amérindiens des Français, ainsi que leurs missionnaires Jésuites, seront presque entièrement anéantis par les Iroquois. Cet épisode de l’histoire canadienne est particulièrement cruel.
HC
Nous ne saurions quitter le territoire canadien, sans évoquer un autre personnage valmorencéen, ou du moins mort en Vallée de Montmorency, à savoir Hercule Savinien Cyrano, dit Cyrano de Bergerac, né à Paris en 1619 (contrairement à ce qu’on croit, il n’est pas gascon) et décédé à Sannois en 1655. Cet écrivain n’a jamais été en Nouvelle France, mais il a lu les Relations des Jésuites sur la Nouvelle-France. Il en a tiré des éléments pour composer son roman onirique, l’Autre Monde, qui a circulé dans les milieux littéraires français dès 1650, mais qui n’a été publié qu’en 1657, deux ans après sa mort.
JD
Convaincu que la lune est un autre Monde, habité comme le nôtre, Cyrano décide d'y faire un voyage. S'étant retiré à l'écart dans la banlieue parisienne, il met autour de sa ceinture une ribambelle de bouteilles remplies de rosée, et, les rayons du soleil réchauffant ce liquide « subtil », il est élevé dans les airs.
Au bout de quelques heures, réalisant qu'il va rater sa cible, il casse quelques-uns de ses vases et la pesanteur jouant sans entrave, le voici qui redescend sur la terre, mais au lieu de revenir à Paris, c’est dans les environs de Québec qu'il atterrit. Mais il ne le sait pas tout de suite. Des sauvages nus l'entourent, puis s'enfuient, en voyant de près son accoutrement. Des soldats en parade le repèrent bientôt, il leur demande où il se trouve exactement.
HC
On lui répond qu’il se trouve en Nouvelle-France. Il est présenté au gouverneur, qui n’est autre que le chevalier de Montmagny. Voilà comment Cyrano décrit la rencontre :
CL
« Je fus présenté à Monsieur de Montmagny, qui en est le Vice- Roy. Il me demanda mon pais, mon nom et ma qualité, et après que je l'eus satisfait, en luy racontant l'agréable succès de mon voyage, soit qu'il le creut, soit qu'il soit qu'il feignit de le croire, il eust la bonté de me faire donner une chambre dans son appartement ».
HC
Nous arrêterons là l’évocation de la pseudo rencontre entre Cyrano et Charles Huault, qui occupe quelques pages du roman, lequel, rappelons-le, paraîtra peu de temps après la mort du chevalier de Montmagny, ce qui donnera à ce dernier une renommée posthume.
Voilà donc Charles Huault de retour en France. Il apprend que la Compagnie des îles d’Amérique, créée par Richelieu, peine à installer son nouveau lieutenant-général à Saint-Christophe, une île des petites Antilles. En effet, le commandeur de Poincy, gouverneur de l’île, refuse de céder son poste à son successeur.
JD
Or, Poincy est chevalier de l’ordre de Malte, donc un confrère de Charles Huault. Aussi, le grand maître de l’ordre demande-t-il à ce dernier de rejoindre Saint-Christophe pour mener une enquête préalable en vue d’acheter l’île et pour tenter de raisonner Poincy. Huault arrive à Saint-Christophe en septembre 1650. Il réussit à s’attirer les bonnes grâces de Poincy, qui se laisse persuader de rentrer dans le rang. Parallèlement, la Compagnie des îles d’Amérique vend ses possessions antillaises pour renflouer ses caisses.
Claude
L’ordre de Malte se saisit de l’occasion pour acquérir l’île Saint-Christophe, dont elle confie la gouvernance à Poincy. Sa mission terminée, Huault revient en France pour prononcer ses vœux, c’est-à-dire entrer solennellement et spirituellement dans l’ordre de Malte. La cérémonie a lieu le 17 juillet 1651 à Paris, en l’église Sainte-Marie, dans l’enclos du Temple.
HC
En 1653, Charles Huault retourne à Saint-Christophe pour en prendre officiellement possession au nom de l’ordre de Malte, transmettre à Poincy son titre de gouverneur perpétuel et assister ce dernier dans la gestion de l’île.
JD
Mais il ne peut accomplir sa mission car Poincy, refusant de l’associer au pouvoir, le relègue dans une ferme isolée où il s’éteint le 4 juillet 1657. Le père du Tertre, un jésuite présent sur l’île, écrit que « le peuple qui espérait beaucoup de sa conduite le regretta beaucoup ».
Conclusion
HC
Nous arrêtons là, pour ce soir, l’évocation de ces premières décennies de présence de la France au Canada. Nous vous renvoyons, pour plus d’information, à vos sites Internet habituels. Mais je vous recommande, si vous vous intéressez plus particulièrement à Charles Huault, à l’excellent livre de Jean-Claude Dubé, publié en 1990 aux Editions Fides à Genève et qui porte le titre : « Le chevalier de Montmagny, premier gouverneur de la Nouvelle-France ». Vous pouvez aussi lire avec profit l’article de François Legallais Charles Huault de Montmagny, dans la Revue de la Société d’Histoire de Montmorency et de sa Région, n° 27, 2009, p. 4-23. C’est l’occasion pour moi de remercier François Legallais pour l’aide apportée à l’organisation et à la promotion de cette soirée, aux côtés de Madame Aline Constantin, maire-adjointe chargée de la culture, puisque M. Legallais est à la fois directeur des services culturels et auteur de plusieurs écrits sur l’histoire de la ville, dont je vous recommande l’achat à la sortie. Je vous renvoie également à notre site Internet www.valmorency.fr, pour l’histoire d’Eaubonne et de Montmagny. Merci de votre attention.
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